« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits
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Assez de tergiversations, de détours, de faux-fuyants ! Assez de préliminaires, de bisous dans le cou, de travaux d’approche, de lubrifiant intime (pour améliorer la qualité des rapports sexuels et supprimer les douleurs provoquées par la rugosité du pénis) ! Assez de pommades et de vaseline !
Il faut plonger, conclure !
Prêt ? On peut y aller ? Les choux sont fermement plantés. La table est mise. Les jeux sont faits. Les échafaudages dressés. Les personnages pressentis. On y va ?
On y va. Toutes les options sont ouvertes.
On attend.
On y va. On s’installe et on attend.
On attend.
On attend. Les événements, les visiteurs, qu’ils entrent en scène (mais on ne les voit pas toujours venir), qu’ils se présentent, qu’ils se précisent[1]. Comment tout cela va-t-il bien pouvoir se mettre en route ? Et finir de quelle façon ?
Ou ne pas se terminer, jamais, et que ça tourne en eau de boudin blanc (avec une farce à base de viande blanche maigre, principalement de volaille) (en Ardenne rude et profonde) ?
Il faudra bien, par exemple, que tu me trompes ou que je te quitte (me tromperas-tu ? te surprendrai-je ? aurai-je l’attention attirée par les aboiements d’un chien opportunément appelé Buick ? déciderai-je de te zapper aussitôt ? pour aller où ? m’inscrirai-je à l’Office royal de l’Amour[2] ? apporterai-je mon assistance spirituelle à une jeune femme dans le besoin ? l’aiderai-je à surmonter un traumatisme causé par un cancer de l’utérus ? serai-je surpris à m’ébattre en compagnie de Stéphanie de Monaco dans une villa de la Côte d’Azur ?)[3], ou alors que les Tchétchènes prennent en otage l’Atomium, les égouts de Bruxelles-Brussel, le quartier Manhattan, le Ma Tante de la rue Saint-Ghislain (n°12/23), la mosquée de la rue Malibran, n°72 (à côté de la boucherie Sans Souci) , la synagogue Beth Hillel, la mosquée Badr de la rue de Ribaucourt (près de l'ancien Zaïre-Bar), le Palais Royal, l’incinérateur de Neder-over-Heembeek ou le Musée de la Bande dessinée, qu’un projet de télétravail me bloque à la maison tous les jours de la semaine et le week-end aussi (c’est Djuna qui ne sera pas content: Vieux à la maison ! tous les jours ! à chaque heure !) (Djuna est le deuxième de la bande des fils) (Djuna-la-science), ou que nous crevions tous ensemble de la maladie du doryphore (et pourquoi ne devrait-on pas mourir d’autre chose ?).
Il faudra bien (sans atermoiements funestes ni précipitations inconsidérées) que quelque chose se passe. Il faudra bien tuer quelqu’un (de 4 balles, une dans la gorge, 3 dans le coeur), marier quelqu’un, divorcer quelqu’un, nouer des intrigues, perdre un procès, planter un arbre, fracturer une sacristie, pisser dans un confessionnal, une poubelle ou une boîte aux lettres, jouer une fortune à la roulette, voler un bijou dans un grand magasin, mettre le feu à un kiosque à musique (place Flagey) ou à la salle des urgences de l’hôpital Saint-Pierre (au 4ème étage du Vésale), glisser sur une merde humide ou un crachat gelé, gagner au loto, sodomiser le curé de Kinkempois, de Waha ou de Couture-Saint-Germain, saccager le commissariat de police d’Ixelles-Elsene.
Niché dans mes cheveux, un oisillon se gratte mes puces. Il faudra bien que quelque chose se passe ?[4] Ou faudra-t-il que je devienne quelqu’un d’autre, résolument ?[5] Transmutation de Hulk!
Le visa de séjour du président zaïrois Mobutu Sese Seko, en convalescence à Lausanne après une opération du cancer de la prostate, restera valable aussi longtemps que le suivi post-opératoire l’exigera, a indiqué hier à Berne le ministère fédéral des Affaires étrangères.
Le directeur de l’hôtel où s’est installé le Chef d’Etat a fait savoir que Monsieur Mobutu se remettait rapidement:
- Je l’ai encore vu cet après-midi et il va très bien.
(Mobutu serait-il en train de dribbler le Pape ?) (et l’ouragan Hortense, plus personne n’en parle?).
(Hortence est à Bobigny) (chez ses cousines) (Hortence est l’aînée de la bande des filles) (Hortence ou le-bonheur-de-vivre).
Et qu’est-ce qu’on ne se ferait pas chier si on ne se disputait pas (au moins une fois par jour) ? ça donne du chien, ça met du peps, non ?
- Et tu voudrais que je me rende ? que je demande pardon ?
Je lui téléphone. Elle ne répond pas. Elle le fait exprès. Elle a décidé de ne jamais me répondre. Et d’ailleurs, comment sait-elle que c’est moi qui l’appelle ? Elle a sûrement étouffé l’appareil comme on aide les vieux à mourir[6], à l’heure, sous un édredon de plumes et des oreillers d'amiante (et de paille de verre).
Videur de boîte de nuit, vigile de concert de rock, je lui poserai la question ce soir:
- Où étais-tu ce matin, à 9h30 ? Et à 11h20 ?
Elle me répondra:
- Dans la salle de bains, peut-être.
Et pourtant j’avais vraiment besoin, j’avais follement envie de t’entendre sourire (et te méfier ?) au téléphone. Maintenant. Tout de suite. Sans attendre.
- Mais dis-moi d’abord, comment sais-tu que c’est moi qui t’appelle?
- C’est avec des questions pareilles que tu espères me faire rire ! et tu voudrais que je décroche ?
- Chuut !
Ma femme mariée n’aime pas les questions. Surtout quand c’est moi qui les pose. Et d’ailleurs, on ne rit pas au même moment. On ne rit pas aux mêmes blagues. Là aussi, il arrive qu’on se rate, non ?
- Et le Pape, c’est comment ?
- ...
- Je peux te poser encore une question, pour la route (ou même 2)? Ça se traduit par quoi, “Buick”, en français ? en espagnol, en néerlandais et en lingala ? (en swahili, en kikongo ou en tshiluba ?) Comment peut-on appeler un chien opportunément ? Et qu’est-ce qu’on mange (avec des petits pois) ce soir, très tôt, avant le JT de TV5 ? Et quand viens-tu me chercher à 16h02 ? Et si tu as déjà mis beaucoup trop de sucre dans la confiture de prunes (du jardin de Lieve) ? Et de l’essence sans plomb dans le réservoir de ta Renault 19 immatriculée PCV 783 ?
Une ombre silencieuse glisse sur la moquette. Je sursaute dans un polar de série B. Je sors ma machette (cachée en dessous du lit) et la brandis hardiment. Je pousse un cri de guerre horrible pour paralyser l’intrus, démasquer l’espion, confondre le contradicteur, pétrifier l’assassin.
- Ce n’est que moi ! (André Faucheur, un sparadrap collé sur l’arcade sourcilière droite, se confond en excuses, se retient d’exister, demande pardon de ne pas encore être mort) (sans doute se sera-t-il cogné la tête contre la porte de son bureau ou sur l’imprimante de son ordinateur ?) (ou aura-t-il agressé un attaché du cabinet du ministre?) (fringant, imberbe et arrogant) (qui l’aura bien cherché) (mais qui se sera tout de même défendu).
Je lui demande comment ça va.
- Pas trop bien...
Il avait prévu de passer une semaine de vacances en Espagne. Début octobre. Dans la famille de son amie. Avec son père et sa belle-mère. Pour une demande en mariage. Il avait acheté une bague de fiançailles...
- Et qu’est-ce qui ne va pas ?
- Ma belle-mère s’est tailladé les veines dans les toilettes du ministère de l’Intérieur.
Là, d’accord, je passe à la ligne, ça m’en bouche un coin. Maté. Je n’avais pas ça en magasin.
Mais, vite fait, je reprends mon souffle, je le tranquillise. Je lui dis que ça va s’arranger, que tout s’arrange, qu’etc.
Je ne suis pas convaincant ? Il n’est pas convaincu.
- Je ne crois pas que ça va s’arranger. Mon père est très déçu. Il prend ça comme un affront personnel !
[1] (Les événements ça ne s’annonce pas toujours) (ça vous mord au mollet, quelquefois, par derrière, sournoisement, comme un chien de curé) (les visiteurs aussi). (On se retrouve plein la gueule, la vessie et le cul d’un tas de gens qu’on ne se souvient pas d’avoir invités) (de circonstances imprévisibles) (aux conséquences desquelles on ne pouvait) (raisonnablement) (obvier).
[2] Mariage à la bougie ! (le conjoint est adjugé à celle) (ou à celui) (qui formule la dernière demande d’amour) (avant l’extinction des feux et la fermeture de la boîte).
[3] Je l’appelerai Gazo, mon petit Gazon, ma petite Gazette, ma Gazounette !
A peine le temps de se cirer les dents (ou de sucer une dragée à la menthe) (pour retrouver une haleine fraîche après usage d’ail et de sperme, de bière brune et de fromage de Bruxelles, de caricoles et de rollmops ) (et de se bomber le pubis au Baygon), et voilà que déjà tu m’interpelles:
- Je n’en ai pas pour très longtemps, juste un papier à te faire signer ! Planque ta maîtresse dans une armoire, j’arrive dans 5 minutes ! (connivences-tu, ronronnant sur ton GSM) (et me demandant de te refiler l’adresse du jour, là où ça se passe).
- Mais qu’est-ce que t’attends pour m’ouvrir ? tu ne me fais plus confiance, ou quoi ? (t’impatientes-tu !) (sonnant, klaxonnant, tambourinant sur la porte).
Ou quoi ! Je lui ferai confiance. Je lui ouvrirai. Elle me bottera le cul avec les bottines qu’elle portait lorsque je lui ai demandé de m’épouser (de Cali à Florianopolis) (de Quito à Salvador de Bahia) (de Tiahuacano à Puno) (de Corumba à Puerto Suarez) (avec Djuna dans le ventre) (qui dormit dans un bordel à Bogota !) (détesta la coriandre à Piura) (joua aux dames en quechua) (fit du bateau-stop sur l'Amazone, de Iquitos à Tabatinga) (et ne put se résigner à manger des tortues au regard épleuré) (se saoula la gueule à Belem, dans un bistrot sur pilotis) (rencontra un crapaud de 30 cm de long à Itaparica !) (survécut au train de la mort et à la mouche chagas !) (se reposa à Santa Cruz) (fit la grève à Cochabamba) (dans un hamac ?) (alors même qu'il n'était pas encore né).
Elle me frappera avec une casserole (le cul noir de suie !). Elle m’étranglera avec la laisse du chien.
On me retrouvera, quelques jours après, dans une cave à champignons, étendu sur le sol, le corps orienté vers la basilique Saint-Pierre au Vatican, la tête baignant dans une mare de vin, pieds et poings liés avec du papier tue-mouches, nu.
On vantera mon effacement, mes vertus domestiques, ma piété exemplaire.
[4] Ou bien, tout simplement, ce sera la fête à tout le monde (procession, kermesse aux boudins, foire aux bestiaux, foire aux chiens, banderoles, majorettes, pom-pom girls, flonflons, fanfares, carrousels) (cuissardes, fringues psychédéliques, perruques fluos, boas multicolores) (brochettes de sauterelles, makayabo na kwanga, tangawisi, kamundele, maki, thompson grillé à l’huile de palme, noix de cola, racines aphrodisiaques) (acrobates, tatoueurs, clowns, magiciens, équilibristes et fakirs, jongleurs de quilles et de flambeaux, dresseurs d’ours, échassiers, trapézistes, voltigeurs, cracheurs de feu, mimes, funambules) (boules puantes, fluide glacial, dragées au poivre, enchantements, sortilèges) (roulette et blackjack) (choesels, mutzen et knoedels) (chevaux et sabres de bois, poupées de chiffons, trottinettes, tambours et trompettes) (marauds, ribaudes et mécréants) (crèmes à la glace, crêpes bretonnes, beignets aux pommes, gaufres de Liège) (lanceurs de sorts, cartomanciennes, astrologues, prédicateurs et bonimenteurs, vendeuses d’images pieuses, magnétiseurs et rebouteux, adorateurs de Satan) (vestales, éphèbes et travestis) (hip-hop, salsa, soca, rumba, bolero, biguine, tango, reggae, raï et calypso) (techno) (cardeurs de matelas, maréchaux-ferrants, réparateurs de pendules) (tournoi de balle-pelote, odeurs de boucs et de vaches laitières, odeurs de rut, concours du plus beau clebs à 15h, élection de miss brocante à 17h, compétition de fléchettes disputée par des anglaises aux seins nus) (merguez, chapatis, tacos, pittas, tapas) (nems, pregos et samosas) (amulettes et marmonnements, strip-tease d'une vierge basque à Lourdes) (marc de café, entrailles de poulet, fers à cheval) (bonbons, sucettes, chewing-gums et barbes à papa) (séance de cinéma en plein air, grand bal de clôture, mirlitons, serpentins, nez rouges et masques de carnaval, rixes et beuveries, feu d’artifice) (bière et vin servis par des acteurs de sitcoms et des animateurs de jeux télévisés, en minijupes, ne portant pas de dessous) (marrons chauds, escargots, mitraillettes, fish and chips) (fleurs et couronnes) (3 dés à coudre de larmes croustillantes) (cigarettes au clou de girofle et baume du tigre) (aspirines achetées sur le trottoir, à la sortie des bars) (pour mieux gérer ses cuites), toutes les teufs, de tout le monde, meufs et keums, pour toujours !
[5] Et que je sois maréchal du Royaume (ou président-fondateur des républiques de Flandre ou de Wallonie), de l’Eglise ou de l’Armée, de la Banque ou du Parti ! Que je m’appelle Pierre ou Paul, Donald Trump ou Alzheimer, Tarzan ou Barbie, Creutzfeldt-Jacob ou Lady Diana, Jules César ou H.I.V, Disneyworld ou Mobutu, Josemaria Escriva de Balaguer ou Georges Soros, Bob Denard ou Pamela Anderson, le Pape ou le Big Burger, Nobel ou Baygon, Einstein ou Parkinson, Michaël Jackson ou Godefroid de Bouillon, Staline ou Tintin, Manneken Pis ou les Spice Girls, le pétrole ou l'atome, le dollar ou l'euro, Pizarro ou Lavigerie, Hitler ou Johnson, Dulles ou Béria, Schramme ou Madonna, Asbeste ou Coca-Cola, Fili Houteman ou Mère Térésa, Bill Gates ou Dioxine, le Petit Prince ou Marc Dutroux, éradicateurs et liberticides, grands pourvoyeurs de mouroirs, cimetières et crématoriums, héros de la mondialisation et de la pensée unique, tyranneaux et marionnettes, missionnaires et mercenaires, de la même ethnie et du même culte: la sauce Béchamel !
Ou que je sois le roi des caricoles, le prince des moules-et-frites ?
[6] Vieillir est une maladie honteuse ! sexuellement non transmissible ? à tout le monde.