« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits
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Salaires en baisse, tarifs en hausse. Depuis 10 ans, les revenus du patrimoine ne cessent d’augmenter. Depuis 10 ans le niveau de vie des jeunes ne cesse de diminuer.
La démarche pénible, l’élocution incertaine, le Pape a rencontré 200 “blessés de la vie” dans la basilique Saint-Martin (le baiser donné à un jeune atteint du sida, la caresse sur la joue d’une malade alitée, la main fraternelle sur l’épaule d’un handicapé mental) (et même d’un homosexuel) (ouahou ?).
Et pendant ce temps-là, je volerai des mots, tous les mots dont je pourrai avoir besoin. J’en volerai aux riches, j’en volerai aux pauvres.
Lundi matin, pendant l’heure de table, je revendrai un peu de shit (au carrefour formé par les rues Emile Féron et Théodore Verhaegen à Saint Gilles), je ferai le tapin sur l’avenue de la Toison d’Or ou à la sortie des confessionnaux de l’église du Sablon (je prendrai une douche, je changerai de slip, je ne serai plus la même personne), je viderai les troncs et les parcmètres au moyen de fausses clefs, je m’emparerai du sac d’une vieille bigote (puant de la culotte), je la menacerai d’un flingue emballé dans une chaussette de laine (trouvé dans une poubelle à Cureghem), je la blesserai à la main d’un coup de cutter, je l’agripperai par les cheveux, je lui déroberai les 14 cierges et les 22 rouleaux de papier-cul qu’elle dissimulait sous ses cottes.
J'obligerai ma mère à se prostituer et à me remettre ses gains (que je puisse m'acheter de la drogue, jouer aux courses, tirer une vraie jeune fille). Egalement poursuivi pour bris de clôture et consommation d'hosties de contrebande, je serai traqué par les flics et les ligues de moralité publique, je prendrai la fuite dans une voiture volée, j’éviterai de justesse une ambulance de la gendarmerie, je déraperai, je percuterai un poteau électrique, je défoncerai la vitrine d’une boutique de mode, je m’encastrerai dans le mur de la buvette du club de football local, je serai éjaculé (en état de choc, plusieurs côtes cassées et le nez fracturé) (je parviendrai à m’enfuir et à leur échapper).
Vendredi soir, pourtant, je mourrai grillé dans l’incendie d’une cabane de branches que j’habitais depuis plusieurs années. Dormant sur des cartons et me nourrissant de détritus. Au coin des avenues de l’Uruguay et de la Forêt. (J’étais complètement vidé) (je revenais d’une chasse aux mots) (intense et fructueuse, maléfique !) (j’avais mis le feu à des palettes de bois pour me réchauffer) (récupérées sur un chantier). (Un passant, accompagné d’un chien-flic, donnera l’alerte) (incommodé par l’odeur de charogne calcinée).
Congo-Zaïre. Des élections continuent d’être prévues ? Des militaires se préparent (comme d'habitude) à d’autres éventualités ? [1]
Hier soir, une truite me mordillait les 3 bottes (vive, chat sauvage, méfiante) (que je lui lance à la tête 2 vaisselles de 6 jours, que je lui mette 7 vers dans 4 pommes, que je lui flanque 10 coups de couteau au thorax, que je lui coince 5 doigts dans la portière de 8 voitures ?).
- Montre-moi que tu m’aimes ! J’ai besoin d’1 dessin !
(Et toi, tu te couperas la chevelure peut-être ? et tu la déposeras sur ma tombe ?) (tu te trancheras les 9 phalanges ?).
Les pieds rongés par les rats, la casquette de base-ball à l’envers, pressé par un essaim d’abeilles[2], mordu par un chien d’attaque, assis à califourchon sur le dos d’un âne rachitique, je n’avouerai jamais !
Pourtant, ce matin, je devais absolument te téléphoner, ça ne pouvait plus attendre. (Excuse-moi si je te réveille, il faut absolument que je te dise:)
- Ta confiture de prunes (du jardin de Lieve) et le fromage blanc (maigre) de chez Delhaize, ça va très bien ensemble !
Patron d’une société de course, maréchal d’opérette chargé de régler la circulation des piétons à l’entrée de l’hôtel Métropole, je n’avoue pas mais je t’ordonne:
- Tu dois m’aimer !
Noyons les psys dans un sac ! Aucun curé n’ose plus me prendre en confession. Les bordels refusent ma clientèle. Monsieur Longue a déserté (Ilunga Lupuishi, Baudouin Kalonji, Dalienst).
On n’a plus personne à qui parler, à qui plaire. On n’a plus personne qui veuille vous entendre. Sauf des anthropologues et quelques flics. Je t’écris une lettre, je m’empresse, avant de ne plus savoir écrire. Je voudrais t’écrire une lettre avant de crever (je signerai Delhaize de Hennin, le Pape ou Maréchal Mobutu, qu’importe !), et qui durera longtemps.
Avant que tu ne crèves aussi.
(Mais c’est difficile de t’écrire aujourd’hui. Tout a toujours été dit, par tout le monde et de toutes les façons possibles. Tout a déjà été lu. Et je dois te trouver une place à toi toute seule, dans cet embouteillage grotesque!).
Une lettre et quelques personnages. Mais pas trop: l’ouragan Hortense, le glacier Sandruma à 14h52 au pied du Résidence Palace (ils se sont vite éteints mes 2 personnages-là, peut-être manquaient-ils de poudre, d’odeurs, de viande autour des os) (on n’a pas vraiment pu s’attacher), Monsieur Longue (qui nous a déjà quittés), le Maréchal Mobutu, le Pape et quelques autres (qui vont tous nous quitter). On les enterrera tous !
Il y aura aussi des personnages-repères, des distracteurs, des personnages-décors (la vache folle[3], l’amiante, le Résidence Palace, le Delhaize du quartier) (rue de Hennin) (entre la rue Lesbroussart et la chaussée d’Ixelles) (Aldi, c’est quelques rues trop loin) (à pied), des personnages rampants (la Belgique belge et le franc belge) (les pays ruinés, les campagnes désertées, les villes dévastées, les quartiers sinistrés, les maisons délabrées) (la pensée unique au service de l'homme unique) (mâle, de type européen, de confession chrétienne, diplômé, informé, motorisé, accouplé, pratiquant le tennis et le ski, le jogging et la plongée sous-marine, justifiant d'un emploi stable et rémunérateur, ayant ses entrées et sachant saisir les opportunités, propriétaire et actionnaire, en bonne condition physique, avec e-mail et GSM) (les rationalisations, les modernisations, les privatisations, les restructurations, les délocalisations) (la gestion par projet, la management by goal, la qualité totale, le business reengineering, l’accelerating organization) (les nouveaux challenges de la technologie, le développement des réseaux interactifs de communication, les critères de Maastricht, la globalisation de l’économie) (les fermetures d’usines et les licenciements collectifs, les plans sociaux, les dépôts de bilan) (les chômeurs de la deuxième génération) (et bientôt de la troisième) (la clochardisation) (les pédophiles psychopathes pervers) (la Palestine étranglée, le Rwanda massacré, la Bosnie débitée, l'Irak affamé, l’Algérie égorgée, la Belgique aspirée par le vide, les pieuvres qui rôdent) (le racisme d’Etat) (l’enfermement et l’expulsion des familles de candidats réfugiés politiques) (les bébés et les poupées) (les enfants et les cartables) (la Belgique triomphante entraînée vers l’avenir!), des personnages-bassets, cachés dans de hautes herbes.
Des personnages latents, en stand-by, que je renseigne à peine, pour mémoire (clauses obscures figurant, en bleu pâle et en petits caractères, au verso des contrats de prêt, ombres planquées dans une encoignure de porte, cadavres végétaux dissimulés au fond d’une corbeille à papier). Mais qui menacent d’exploser ? qui, un jour, peut-être, nous péteront dans la gueule ?
Il y aura ma femme mariée depuis 15 ans (et plus).
16h 02. Mon personnage principal me ramène en voiture à la maison. Je lui relève la jupe, je lui mets la main dans la petite culotte, je lui pelote les fesses...
... Je l’invite à se montrer courtoise au volant ! à respecter les normes et les consignes, les passages pour piétons, nom de dieu !
- Mais enfin, laisse donc passer ces vieux !
- Qui votent FN ? ou Vlaams Blok ? me bloque-t-elle (en plein dans l’estomac) (ma tête dans le pare-brise) (j’encaisse !).
[1] Le général Nzimbi (chef de la Division Spéciale Présidentielle) ? le général Baramoto (chef de la Garde civile) ? le général Eluki (chef d’état-major des Forces Armées Zaïroises) ? l’amiral Mavua (ministre de le Défense) ? ou bien le général Mahele (celui de Kolwezi) (et de la répression "musclée" des “pillages” de Kinshasa) (en 1993 )?
[2] (Sacs-poubelles d'hosties périmées) (abeilles rendues folles par l'odeur de charogne).
[3] Une vache que plus personne ne veut manger, sans prédateurs, obligée de mourir de vieillesse, réduite à faire de la figuration paysagiste dans un film publicitaire sur l’Ardenne rude et profonde.