lundi 19 avril 2010

Le cul de ma femme mariée - Chapitre 27

Didier de Lannoy
« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits

27


Je dois voler des mots aux gens pour simplement survivre. Je n’ai plus assez de mots qui m’appartiennent en propre. Je n’ai plus de colonies de mots qui nichent sous mon toit. Quand des mots du hasard et d’ailleurs viennent à passer, je les agrippe (je les renifle et je les dévisage) (je leur pince les tétons et je leur tord les couilles) (je les déglace) (je les fais gueuler, dégorger, haïr) (et puis je les embrasse) (je les lèche, je les suce et je les mordille). Ou bien ils disparaissent. Pour toujours. Jamais ils ne reviennent. Je ne les retrouve jamais.

Brame des cerfs, piaillement des canards sauvages, ils s’amèneront avec des manches de pioches, des couteaux et des haches[1].

Les chevaux s’enfuiront, poursuivis par les truies. Des crocodiles grimperont sur les plus hautes branches des arbres, insulteront les passants, leur chieront sur la gueule.

Couinement des talkies-walkies, ils se tapiront dans les buissons. Ils chercheront à m’épouvanter. Ils chercheront à me détruire. Indidieusement, sournoisement. Ils couperont la ligne téléphonique, le courant électrique, l’accès à l’ordinateur[2]. Ils entreront par les fenêtres, la cave et le plafond. Tirs de mines et marteaux-piqueurs. Hurlements des curés de Kinkempois, de Waha et de Couture-Saint-Germain sodomisés dans la chapelle de la prison. Sifflets et cornes de brume. Camions avançant à reculons:

- Tut ! tut ! tut !

500 litres de mazout déversés, nuitamment, méchamment, sur le disque dur de mon PC (ou dans ma mare à canards) (dans mon élevage de tilapias, de mboto, de crocodiles). Je retrouverai la tête de mon chien clouée par les oreilles sur la porte de ma grange. Et mon ours en peluche, émasculé !

Je n’aime pas avoir été piégé. J’identifie tous les pouvoirs que j’ai dû concéder, tous les traquenards qui m’ont été tendus, toutes les prisons dans lesquelles j’ai accepté de croupir et de disparaître. J’entreprends une grève de la faim, de la soif et des soins médicaux. Je pense à toutes les façons possibles de m’évader.

- Je ne suis pas ta merde, ton nounours, ton paillasson, ton canapé, ton cendrier, ta puce, ton cure-dent, ton sparadrap, ton petit coeur, ta petite laine, ton chien-coussin, tes rognures d’ongles ! Je ne veux plus que tu portes mes chemises. Je ne veux plus que tu me prépares des soupes chinoises ou thaïlandaises. Je ne veux plus que tu m’achètes de la confiture de thé ou des tomates séchées (italiennes !). Je ne veux plus que tu me conduises au bureau le matin (à 7h45) et que tu viennes me rechercher le soir (à 16h02).

Je ne veux plus relever ta jupe, mettre la main dans ta petite culotte, te peloter les fesses et caresser ta poitrine dénudée. Je ne veux plus faire l’amour avec toi quand tu baîlles. Je ne veux plus habiter le même lit que toi[3]. Je ne veux plus que tu me tricotes un pull-over pour l’hiver (si seulement tu savais tricoter). Je ne veux plus que tu me laisses choisir le programme de TV du samedi soir. Je veux que mon cadavre mûrisse tout seul à l’ombre (et que des mouches lui ferment les yeux). Je ne veux pas que tu sois mon infirmière (canard meurtri trempé sanglant dans la gueule hilare d’une chienne de chasse en chaleur !)[4].

Je repasserai mes chemises moi-même (je ne les repasserai pas !) (si seulement je savais repasser). Je ferai réparer mes anciennes lunettes par un opticien, le copain d’un ami, rue Malibran. Je mangerai des sardines en boîte (togolo-portugaises) (sans salade d’avocats), des pilchards, des oeufs durs, du thon à l’huile ou des saucisses de Francfort. Et du corned-beef (Emery ! avec des gros morceaux, comme avant). Je prendrai le bus 54 à la place Fernand Cocq! (ou le 59, place Flagey).

Je veux être libre. Employé dans une brasserie, porteur de cercueils dans une société de pompes funèbres, directeur commercial d’une usine de traitement et de conservation de poissons, j’élèverai un lapin sur mon balcon (ou même une poule) (veuve ou orpheline) (qui me suivra dans toute la maison et passera la nuit à côté de mon lit, perchée sur une chaise) qui aura d’aussi belles dents que le lapin de Constant, le dentiste de toute la famille (et celui d’Antoinette)[5]. Le sida ne me fera plus peur. J’effacerai le tatouage qu’ils m’ont griffé derrière l’oreille (pour retrouver le maître de l’animal) (à l’acide ou à la cigarette). Je me nourrirai de lézards et de papillons de nuit.

Je pourrai mâcher des feuilles de qat, fumer tous les jours de la semaine et beurrer mes tartines à la moutarde et au pili-pili. Je parlerai français à mon perroquet, espagnol, néerlandais ou lingala (swahili, kikongo ou tshiluba). J’entendrai ce qu’il me plaira d’entendre (les poissons braire, le gazouillis des aigles). J’habiterai où je voudrai, quand je voudrai, comme je voudrai (un relais de poste provençal, un entrepôt d’engrais et de produits liquides inflammables, l’annexe d’un cimetière, la grotte miraculeuse de la vierge préhistorique du square Marie-Louise, les sculptures de Marianne Berenhaut) (isc) (les jeux en polyester de la place Bonnevie, un tunnel ferroviaire désaffecté). J’irai chanter dans les parcs publics (les cheveux bleus) (ou teints à la poudre de coquelicot) (ou la coupe cancer) (le look grunge, la barbe d’hier, les yeux congelés, le piercing à la lèvre, la goutte de pipi au bout du nez). Je gratterai les cordes rouillées d'une guitare, avec des doigts de grosse laine, dans les couloirs glacés et soupçonneux du métro (station Madou). J’aspergerai de fluide glacial le trône du Pape, la planche des chiottes, les chaises roulantes des handicapés physiques et les banquettes du métro. Je ferai de la brocante en amateur (cornes de rhinocéros, organes sexuels de tigre, écailles de tortues, peaux de reptiles, bile d’ours ou de crocodile, couilles de Blancs) (j’offrirai 50 pour 100 de réduction sur toutes les peluches en amiante) (je vendrai des médicaments sur le trottoir) (aspirines, antibiotiques, amphétamines et toutes sortes de gélules jaunes et vertes ou de comprimés rouges et bleus dont le nom commencera par A)[6].

Et j’irai me faire foutre !

Je pourrai être vulgaire autant que je voudrai. Je pourrai avoir mauvais goût et mauvaise haleine autant qu’il me plaira. Misérablement trompé par les séductions perfides de la franc-maçonnerie, je pourrai donner libre cours à mon anticléricalisme primaire (péteur et rigoleur). Je me curerai les dents avec un briquet Sikkens, avec une épine de la couronne du premier-né de la petite Marie. Je me plomberai les dents cariées avec du chewing-gum d’hosties consacrées. Je ne serai pas gêné d’exprimer des émotions sonores à la grand-messe, à 15.000 francs (belges) (et d’y emmener les enfants des écoles assister à la transmutation de Hulk[7]) (cracher dans le ciboire, pisser dans le bénitier, chier dans les confessionnaux). Je tirerai sur les livreurs de pizzas et de derniers sacrements.

Je me ferai rayer d’une liste d’attente pour une greffe du foie. Je signerai les formulaires prévus pour demander l’euthanasie. Je piégerai mon cercueil (extincteur de 15 kilos bourré de sucre et de désherbant) et me ferai péter les viscères au beau milieu de la cérémonie funèbre. Je me tailladerai les veines avec les éclats de verre (moqueurs !) d’une ampoule électrique (rieuse !). Je me shooterai à l’héroïne (ça en jette encore, mais beaucoup moins qu’avant ?). Je prendrai la fuite dans une voiture volée. Une Renault 19, immatriculée en Belgique, PCV 783 (qui passait la nuit à Bagnolet, sentier de la Fosse aux Fraises, près du Parc Jean Moulin). J’éviterai de justesse une ambulance de la gendarmerie (escortant un convoi d’argent blessé), je déraperai, je percuterai un poteau électrique, je défoncerai la vitrine d’une boutique de sous-vêtements féminins, je m’encastrerai dans le mur de la buvette du club de football local, je serai éjaculé (en état de choc, plusieurs côtes cassées et le nez fracturé) (je parviendrai à m’enfuir et à leur échapper).

Je me cacherai dans une caravane de baraquis (pourrie, les pieds dans l’eau). Dans un dépôt de bouteilles désaffecté. Je tenterai de faire du stop, la manche, la pute, un casse. Trayant les pénis et purgeant les bourses. Je crèverai de faim et de froid (ça marche encore, surtout en hiver ?). Je serai certainement très malheureux. Je me sentirai abandonné de tous. Je serai même enceinte (qui pourra m’aider ? que dois-je faire ? à qui en parler ?). Je ne manquerai pas de me faire arrêter à une nouvelle frontière (péage autoroutier, parking de station-service, motel de passe). Je fréquenterai assidûment les toilettes de la consultation d’urologie, au 8ème étage de la clinique du Parc Léopold. Je serai libre !

Suisse. Le visa de Mobutu est prolongé.

Le ministère helvétique des affaires étrangères a accordé au Président Mobutu, au début du mois, une seconde prolongation de séjour pour la fin de son traitement (jusqu’au 27 octobre). Les 2 prolongations d’autorisation de séjour octroyées à Monsieur Mobutu ont été établies sur base de certificats médicaux attestant que le traitement de l’intéressé devait impérativement être poursuivi par les médecins qui le soignent actuellement.

Mobutu va gagner ! Mobutu va gagner !

Champagne et lotoko, beignets d’hosties, brochettes de sauterelles et de kossa-kossa, le Pape a échoué !

(Vaut-il mieux glisser sur une merde humide ou sur un crachat gelé? De tout manière on se retrouve le cul par terre, non ?).

Elle me nie. Et je devrais présenter mes excuses ? avoir la bave aux lèvres, la larme épaisse ? la braguette rutilante ? faire obédience à quelqu’un et demander pardon ? promettre de ne plus recommencer, prendre une douche, changer de slip après chaque coup tiré, devenir une autre personne, aller me faire soigner ? Et je devrais lui téléphoner? Et si elle me raccrochait au nez ? Et si elle me pardonnait?

- Oublie-moi ! (me frappe-t-elle d’un seul coup de couteau, sous le bras gauche, en plein coeur). Casse-toi !

Un mégot de cigarette dans un cornet de frites !

Menacé de vasectomie et de lobotomie, je m’enfuis. Je brandis mon parapluie pour me protéger du diable. Et des sorcières assyriennes, des âmes en quête de délivrance.

Un chewing-gum sur la moquette, un têtard dans le bénitier, un dentier sous une taie d’oreiller, un cancrelat dans une bouteille de Tembo !

Elle me nie. J’entre en hibernation. Je dissimule des lames de rasoir à l’intérieur de mes cheveux. Un oiseau meurt, la gorge tranchée. La morve gèle dans les mouchoirs.

Plus personne ne me caresse la tête. Plus personne ne me frotte le museau. Plus personne ne regarde si mes crottes sont belles. On ne me prend plus en photo. Aucune femme ne me regarde.

- Va te faire foutre (femelle dominante, ex-nymphette, petite Blanche à la con, vieillarde, crapaude, marâtre, Minou Drouet prépensionnée) !

Plus personne ne parle de faire l’amour avec plus personne.

Je voudrais retourner dans mon trou à rats, m’enterrer, disparaître, moisir, pourrir. Odeur de poisson mort. Odeur de merde et de vomi. Corps jetés dans les latrines. Cadavres abandonnés dans les décharges publiques, fertilisés par les asticots. Beaucoup de petites mouches. Pour toujours !

Qu'on me laisse devenir vieux !

Qu'on me laisse regarder la neige tomber !

Je voulais t’écrire une lettre. Autrement. Et ça devait nous rajeunir!

- Et si je ne t’aimais plus, je n’aurais plus aucune raison de t’écrire, quoi que ce soit, à qui que ce soit ?

- Ce serait bien mieux ainsi !

Chuut ! Luxembourg, l’après-Mobutu se prépare. L’Union européenne envisage de mener une action commune de politique extérieure au Congo-Zaïre.



[1] Eglises mises à sac. Institutrice tirant sur sa classe et tuant un enfant de 10 ans. Villes livrées au pillage pendant 8 jours. Ambulances de la gendarmerie escortant les convois d’argent blessé.

On nous annonce 25% de détenus en plus ! en 6 ans ! On nous promet une nouvelle prison à Ittre pour l'an 2.000, 700 emplois à temps plein (300 matons et 424 détenus) (priorité aux jeunes et aux étrangers)! Et de nouveaux camps de concentration pour candidats réfugiés politiques !

[2] Erreur grave ou sortilège: ce document est endommagé et va être fermé (FI). OK ou continuer ?

- OK !

- Une erreur système est survenue, un sort a été jeté, une malédiction lancée. Application “Wordperfect”. Erreur numéro 10. Continuer ou redémarrer ?

- Continuer !

- Le système a quitté inopinément l’application “inconnu” car une erreur de type 10 est survenue. OK ?

- OK... (me résignai-je et soupirai-je) (et croisai-je aussitôt les doigts) (atteint de vieillissement précoce).

[3] Un lit-salon, un lit-terrasse sur lequel tout le monde s’assied et se couche (pour lire le journal, répondre au téléphone, déjeuner, repriser des chaussettes, s’épouiller, se gazer les morpions au Baygon, prendre des bains de soleil, se tenir par la main, regarder la télévision pendant 6 heures et 47 minutes) (par jour) (en semaine). Un lit-péniche, dans lequel tout le monde dort (les enfants et les parents, les chiens et les chats, les vivants et les morts, les porcs et les cochons).

[4] Quand j’étais môme, un basset jouissait en galopant dans les herbes hautes ! (mais peut-être était-ce un épagneul).

[5] Mourad aussi est le dentiste de toute la famille. Surtout d’Eric, de Hans et de JPJ.

[6] Robert Dehoux saura pourquoi. Paulo Carter aussi (signant son pain avec un long couteau sanglant).

[7] Pascale demande que Hulk lui soit présenté :

- C’est la deuxième fois que je le rencontre dans ton roman, je le connais ?...

Je tente de lui expliquer:

- Peu après Goldorak. A l’époque de Dallas ou d’X-OR. Ou presque. Une génération avant Dragon Ball Z. Tu ne peux pas vraiment connaître...