« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits
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Mauvaises nouvelles. Le Pape aurait subi avec succès l’ablation de l’appendice. Mobutu ne serait plus mourant:
- Voilà une journée qui commence mal !
Bonnes nouvelles. On a trouvé des rats au bar du cinquième étage du Juste Lipse (la toute nouvelle caserne du conseil des ministres de l’Union européenne) (à côté du Résidence Palace). Vivants. Gras et luisants comme des gants de boxe. Hilares ! Et le cadavre d’un flic suicidé par la gendarmerie. Ma femme partie est bien arrivée à Santa Valencia. André Faucheur est finalement revenu (avec quelques heures de retard) de Sagunto.
Je vais dire bonjour à André Faucheur, dans son bureau (je pique un morceau de sucre à la cafétéria, en passant). La locomotive du train qui devait le ramener à Barcelona est tombée en panne à Castellon de la Plana. André Faucheur a pris un taxi, de Castellon à Barcelona (près de 8.000 francs) (belges), pour ne pas rater son avion.
Intermittent du spectacle, laveur de cadavres, trafiquant d’espèces en voie de disparition, j’ai hésité longtemps entre différents genres littéraires, différentes manières de t’écrire. D’abord, je t’écrivais une lettre (c’était un jeu, une plaisanterie, une gaminerie) (c’était une espièglerie). Je me suis lancé dans cette aventure avec entrain, légèreté, ivresse, volupté. Imprudemment. Et puis, peu à peu, c’est devenu plus sérieux:
- C’est devenu plus dangereux ?
Aujourd’hui, j’ai (momentanément) (depuis le 4 septembre) décidé de t’écrire un journal (pas des Mémoires, un vrai journal[1]: une publication, le plus souvent quotidienne, qui donne des informations politiques, littéraires, scientifiques, etc) (avec des infos générales et des pages spéciales) (sur la difficulté d’écrire avec des mots) (qui meurent dès qu'on les cueille) (sur le risque d’aimer à la roulette, sur la santé du Pape et la disparition de l’ouragan Hortense, sur les parasites intestinaux qui me chatouillent le trou du cul?) (sur la digestion périlleuse des soutiens-gorge tasmaniens dont on aurait oublié d’enlever les baleines ! et des gaines-culottes du sultanat d’Oman) (avec la collaboration de l’AFP, de Reuter, de Belga, de l’AZAP-ACP, du Monde et du Soir) (gracieuse et involontaire).
Et si je te commentais un press-book (sur Bruxelles-Brussel et sur Kinshasa-Lipopo), quelques toiles de Chéri Samba, de Syms ou de Sim Simaro, de Bodo ou de Moke ?
Ou de James Ensor ou de Jheronimus Bosch ?
Si on se promenait (s’installait, s’asseyait) dans une sculpture de Marianne Berenhaut (isc) ? si on squattait la plaine de jeux de Mohammed Belhouari, place Bonnevie ?
Ou si, plutôt, je t’inventais la littérature-action ? l’écriture permanente ou le roman sans auteur ? ou le roman-sans-histoire, le roman-vérité ? la littérature de proximité ou le roman de quartier ? le roman pour se faire plaisir et pour les faire chier ? le roman privé, le roman-poubelle, le roman-capote, le roman-branlette ? le roman-sortilège ou le roman-nkisi ? le roman-énigme, labyrinthe et chausse-trape (qui égare l'adversaire et le mène à sa perte) ? le roman-oubliette ou le roman cul-de-sac (dont nul ne pourra jamais sortir) (indemne) ? le roman-boudin (qui court derrière sa queue), le roman circulaire, le roman-ronron, le roman en boucle ? le roman d'images pieuses et de photos pornos, le roman-album, le roman-annuaire ? le roman dont la trame serait une personne ou une chose, l’a-roman, le non-roman ? si je te faisais de la littérature immédiate (tous ces machins-là ont sûrement déjà été fabriqués par quelqu’un quelque part, un jour ou l’autre) (des thèses de doctorat ont certainement été défendues à ce sujet) (et publiées !) (mais je ne lis plus tous les livres, depuis 30 ans déjà) (comme on arrête de fumer) (sauf les journaux) (de plus en plus) (et des polars) (de moins en moins).
Et si je t’écrivais un roman sur le roman ?
Et si je m’impliquais personnellement, trop. Sans aucune marge, sans plus de distance, ni de pudeur. Si ça me prenait tout mon temps, toute ma liberté (et celle des autres). Si je ne faisais plus que cela, me regarder vivre avec les gens, si ça me dévorait entièrement, si je n’en dormais plus (autophagie, ça rend dingo ?) (des mots me réveillent au milieu de la nuit) (des phrases m’interpellent sous la douche, dans le bus 54 et quand je fais l’amour[2]) (au volant d’une Renault 19 immatriculée PCV 783 et dans un ascenseur des lignes intérieures du Résidence Palace). Si j’en arrivais à bouffer ma femme mariée (depuis 15 ans) et mes enfants (et les enfants de mes enfants). Et les amis, les visiteurs, les voisins, les collègues de bureau, les passants. Oncle sorcier, ogre incestueux, voyeur nombriliste.
Ou, plutôt (soyons léger), si je t’écrivais un puzzle, un jeu de jonchet, des sables mouvants (un bouquin ça doit pouvoir se lire à partir de n’importe quelle page et dans n’importe quel sens, non ?) Si je t’écrivais en marche arrière, à croche-pied, à contre-pied, à rebrousse-poil, en porte-à-faux, à rebours, en crabe ou en écrevisse ?
Pourtant, j’hésite encore. Si je prenais des photos que je ne développais jamais ? si je mettais fondre un glaçon dans une coupe de champagne ? un bouillon cube ? (avec l’étoile !).
Et si je t’écrivais une carte de tram, un livre de messe (rongé par les rats), une lettre de créance, un billet à ordre, un titre au porteur, une pension alimentaire, une reconnaissance de dette, un carnet de souches pour prescriptions spécialisées, un rouleau de papier hygiénique, un listing de paie, un cahier de feuilles libres, un avion en papier de verre ou d’argent, un cerf-volant, des cartons de bière, un kleenex, quelques pages chiffonnées dans une corbeille à papier, une éjaculation plantureuse, des soldes de fin d’année, un catalogue de griefs conjugaux, une bouteille à la mer pour les générations futures (et pour les écrevisses des temps présents), l’Encyclopédie de Diderot ou la Charte de Quaregnon, une prière d’insérer, une banque d’informations juridiques sur les marchés publics ?
N’importe quoi ! Et si je t’écrivais des paragraphes de 4 à 9 lignes (si je t’écrivais les faits divers du Monde !) (ou plus) (ou moins) (des clips vidéos !) (séparés les uns des autres par une ou 2 lignes d’intervalle), des notes en bas de page[3], des parenthèses (pour retrouver son souffle ?) (changer de respiration) (creuser des tunnels en dessous des phrases légitimes ?) (épousées, reconnues, diplômées) (salariées, logées, cartées) (ou leur permettre de s’échapper ?) (les détourner, les débaucher, les distraire) (leur ouvrir des phylactères) (des ballons de toutes les couleurs) (les envoyer en l’air et les amener ailleurs) (leur péter les lèvres, leur éclater la gueule) ?
Et si je t’écrivais des gargouilles ? du hachis Parmentier, avec beaucoup de petits pois ?
Vitres pare-balles et portiques de détection, le Pape a bien supporté l’ablation de l’appendice. Ses médecins affirment qu’il ne souffre d’aucune pathologie tumorale.
L’opération a permis d’exclure la présence de nouvelles tumeurs et le professeur Crucitti a déclaré en outre:
- J’exclus de manière catégorique toute récidive de la tumeur que j’ai opérée moi-même il y a 4 ans!
Le chirurgien a rappelé avoir affirmé à l’époque:
- Le Pape vieillira et mourra de toute autre maladie !
De son côté, l’écrivain catholique Vittrio Messori (qui c’est ça ?) soutient avec confiance:
- Le Pape sera encore là pour le début du troisième millénaire. Même dans une chaise roulante, s’il le faut !
- Tabernacle !
Les couleurs du Vatican (blanc et jaune) flottent à l'entrée du site !
Gloussements fétides, le Pape a fait (longuement) pipi dans l’urinal! Le Pape a eu ses premiers gaz! Vivra-t-il plus longtemps que le Royaume fédéral de Belgique? et le franc fédéral belge ?
Sera-t-il invité à allumer la flamme olympique des Jeux de Sydney? (ou de Beijing en 2008 ?).
Trop d’agressions téléphoniques en soirée (depuis que tu es partie en Espagne, ça n’arrête pas de sonner et mon système de ne jamais répondre est complètement désorganisé) (à je ne sais jamais trop qui !).[4]
Ce soir, je te remplace par un témesta (volé dans ton beauty-case, avant ton départ) (en souvenir de toi ?). Je ne veux pas te faire l’amour au noir. Un demi-comprimé. Je finirai bien par m’endormir.
Et 2 fèves de fuca.
[1] Dagblad, zeitung, newspaper, diario !
[2] Tu permets que je prenne note ? (je les agrippe) (je les chevauche et et les possède illico) (ou bien elles disparaissent) (pour toujours).
[3] Un éditeur me suggérera-t-il de supprimer quelques-unes de ces notes (évidemment trop personnelles !) (ces noms de gens, de bleds, de rues, de bistrots que personne ne connaît) (ces numéros de compte et de téléphone) (ces plats que personne n’a mangés), mais pas toutes ! (je ne voudrais surtout pas vous censurer) (ou vous émasculer ?) (ne le prenez pas mal !) (ça se pêche où ça ? avec quelle mouche et à quelle profondeur, un éditeur comme ça ?) (ferais-je bien de demander à Djibril Castel !) (car, vous en conviendrez, vient un moment, n'est-ce pas, où l'outrance doit cesser d'être excessive) ?
- A regret, croyez-moi !
- Mais Mobutu, le Pape, ça vous convient ? la secte catholique et le Mouvement Populaire de la Révolution, le supermarché Delhaize, les entreprises Baygon, Marc Dutroux, l’incinérateur de Neder-over-Heembeek, le Palais Royal, les fèves de fuca, les volutes du cigare de Mutiri et les miaulements du mixer de Najat, Rubens et Bounty, Henri IV et Marianne Berenhaut (isc), vous prenez aussi ? (on pourrait peut-être les faire payer ?).
[4] Kibushi me demande si ma femme partie (depuis moins de 31 heures et 42 minutes) accepterait d’être la voix d’un de ses personnages (la mère de Mwana Mboka), dans les 2 versions, en français et en lingala, de son dernier film. Je transmettrai:
- Elle ne rentre pas avant 15 jours, mais je l’aurai au téléphone demain soir, vers 18h05.
Bob White (depuis New York ou Montréal) me demande où il pourrait acheter des billets “moins cher” pour Kinshasa. Je me renseigne auprès de Nadine, qui est toujours informée de tout, sur n’importe quoi (Nadine-la-gagneuse) (et la curieuse aussi) (qui prend tout à coeur) (le monde entier) (même si parfois ça pèse) et qui me communique les n° d’Isbel (32/2/511.19.05) et d’Espaces Voyages (32/2/511.22.51), dans la galerie de la Porte de Namur. Bob White a vu Chéri Samba pendant son dernier séjour à Kin (qui nous donne le bonjour ! et sera bientôt à Bruxelles-Brussel). Il me demande également des nouvelles de Sinatu (elle a déménagé !) (elle va bientôt voyager) et de Hans (il est déjà marié !) (d’ailleurs on ne le voit plus):
- Et Anselme, il est toujours là ?
(Ajos est toujours à la maison) (c’est lui qui m’appelle Vieux!) (et ses 2 fils aînés sont venus le rejoindre) (de Kingasani à Ixelles, en passant par Yolo-Nord, Douala et Bobigny) (depuis le mois d’avril) (Gayette et Léandre).