« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits
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4 fois dormir.
J’enfile mes bottes, je revêts un gilet pare-balles, je me colle un bout de sparadrap sur le bout du nez[1], je monte dans ma jeep blindée, j’embarque mes chiens renifleurs de cadavres, j’affûte mes longs couteaux sanglants, je me roule un pétard, je pars à la chasse aux mots.
(Cagoulé) (le visage décharné, le cerveau brûlé, les dents sales, l’humeur patibulaire) (3 points tatoués entre les sourcils) (armé d’un couteau de chasse et d’une bouteille de vodka) (d’aérosols de gaz incapacitants) (de barres de fer, de battes de base-ball, de pistolets à grenaille et de tromblons à mitraille[2]).
Je mets mes lunettes de vision nocturne, je me dissimule le visage sous un casque intégral, j’enfile des gands de latex pour ne pas laisser d’empreintes digitales.
Sous-vêtu d'un string de nonne (cueilli sur la corde à linge du couvent d'Antoinette), je prends des emplois de videur de boîte de nuit, de vigile dans des concerts de rock. J’y rencontre des mots. Je frémis de toutes mes plumes, j’agite mes grandes oreilles. Je les prends là où je les trouve (dans les journaux, les filières de prostitution, les réseaux de ramoneurs clandestins, les bars à hôtesses du boulevard Emile Jacqmain) (montrant leur fesses aux enfants des écoles) (dans le bus 54, chez Delhaize, sur les trottoirs, dans les trains à crémaillère, sur des sentiers de transhumance, à Télé-Bruxelles, au Zerbeute ou à la Mandibule, dans les maisons de vieux et les caravanes de baraquis). J’enfonce ostensiblement mes défenses dans le sol et je les invite à m’affronter en duel.
Ce sont des mots d’ailleurs et du hasard. Il faut les aimer comme ils sont. Je les présente à d’autres mots. Je les essaie à différents postes. Et quelquefois ça marche.
Je m’acoquine avec les princes de la rue, les marchands de maïs bouilli, les vendeurs à la criée (à la sauvette), les pickpockets, les marabouts, les dealers d'hosties de contrebande (dans le quartier de la place de la Vaillance, à Anderlecht), les bandes de quartier, les putes, les drag-queens et les proxénètes, les organisateurs de combats de coqs, les voleurs de night-shops (32 paquets de cigarettes, 1 bouteille de gin et 24 heures de recette, 22.000 francs) (belges), ceux qui boivent l’alcool des lampes à pétrole, ceux qui fument les Yucas dans des doseurs à apéritifs.
On me signale un Irlandais, au sourire édenté, qui entretient depuis environ un an, dans un hôtel proche de la cathédrale, une liaison hebdomadaire avec une religieuse prostituée (pratiques intimes minutieusement décrites) (anales, orales et vaginales). On me signale un groupe d’homosexuels qui se réunissent, nus, dans les dunes de Raversijde (et qui en interdisent l’accès au public) (et postent des “vigies” pour surveiller l’arrivée de la police). Je m’installe en terrasse pour profiter de ce beau soleil d’automne. Je vole !
Des mots s’abritent de la pluie sous un parasol. Des pédophiles, habillés en grand-parents, font le guet à la sortie des écoles. Je vole !
Des maxijupes au ras des bottines noires. Des lèvres-limaces (mouillant de bave visqueuse la main baguée des prêtres). Des chemises sombres (pleines de seins gonflés à la bave de crapaud) (ou à l’urine de chèvre). Des cheveux impeccablement séparés par une raie de premier communiant[3], je braque, j’embarque ! Je veux l’argent, les bijoux, le numéro de la carte de banque et la combinaison du coffre. Je fais irruption dans un salon de coiffure de la rue Américaine et je m’empare du portefeuille d’un client.
Je plagie ! Je pille ! Je vole ! Je vampirise ! Je dénature et je massacre. Je traque la lionne et l’éléphanteau dans la plaine du Serengeti. J’assassine les maris. J’épouse les veuves (je chevauche et je possède). J’adopte les orphelins !
Les mots qui n’ont pas de chaise quand la musique s’arrête, je vole ! Les mots-bodies. Les mots-débardeurs. Les mots-ballerines. Les mots-fils de joie. Je les enferme dans des temples. Je les offre à des dieux.
Les mots du bout du monde aussi.
Les mots-mouches autour des yeux. Les cadavres de mots jetés dans des pousse-pousse et déversés, nuitamment, sur un tas de détritus, dans une décharge d’immondices clandestine. Les mots-campings dans lesquels les nouveaux pauvres se cachent. Déguisés en touristes. Sans travail. Sans eau, sans électricité, sans chauffage. Dormant sur des matelas défoncés, à même le sol. Dans des caravanes pourries, prenant l’eau, installées dans un quartier de friches industrielles, entre le chemin de fer et un pont autoroutier, au bord du canal.
Moignons de statues rongées par la pollution et les pluies acides. Troncs d’arbres abattus. Grues rouillant sur pied. Carcasses de voitures brûlées. Toitures balayées par le souffle des bombes. Murs criblés d’impacts de balles. Blessés abandonnés sur des brancards de fortune. Quelques chèvres furetant dans un tas d’immondices (sous la surveillance d’une très vieille femme). Je vole. Je récupère.
Educateur social, détective privé, vendeur dans une entreprise d’alarme-incendie en difficulté, je vole des mots (et parfois des phrases entières). Je les cueille sur les réverbères. Je les saisis par le cou. Je leur ouvre le bec. Je leur enfonce un entonnoir dans le gosier (j'aime les phrases qui bourgeonnent, j'aime les phrases à 5 doigts). Je leur tranche la gorge. Je leur arrache le foie et le coeur. Dans toutes les langues, de tous les pays. Armes pointées à l’aveuglette vers la végétation luxuriante qui couvre les berges du fleuve (j’aime aussi les phrases qui retombent, les bites molles et visqueuses, les phrases-limaces !).
Je vole des dépêches d’agence, des pièces de procédure, des informations codées, des annotations marginales, des apostilles. J'installe une ligne de téléphone rose doublée d'un fax pour les érotomanes malentendants. J’ouvre les sacs des dames. Et les braguettes. J’attrape le torero par les couilles, je lui file un sacré coup de boule en pleine tronche, je lui coupe la langue et les oreilles. Je fracture les boîtes aux lettres, les bonbonnières, les pièges à rats. (J’aime les questions sans réponses, les enveloppes que personne ne déchire !) (les histoires qui ne mènent nulle part) (les romans qui ne seront jamais publiés).
Pasteur protestant dissident, j’aime les mots déjà faits, ayant déjà servi. J’aime les pipes culottées, les vieilles tétines, les sourires édentés, les vêtements de seconde main, les chaussettes qui bouchonnent, les journaux de l’année dernière, les chewing-gums collés sous les pupitres de la chorale, les nonnettes déviergées, les glands décalottés, les seins crevés, les ventres chiffonnés, les zizis rabougris, les draps moisis. J’aime les capotes usagées et les seringues souillées, remplies de sang humain, jetées dans la rigole.
J’aime les frigos à 3 pieds (ou presque), les carreaux cassés, les disques rayés, les pommes véreuses, les blagues vaseuses, les prostates cancéreuses, les longs couteaux sanglants, les casseroles trouées (noires de suie), les hosties avariées, les viandes faisandées, les charognes calcinées, les voitures qui fument du cul, les dealers qui rouillent sous la pluie[4], les flingues qui sentent la poudre rance, les rampes d’escalier poisseuses, les toilettes bouchées, les hommes politiques frappés de démence présénile, les diplômes dévalorisés, les moustiques gorgés de sang vicié, les clous de cercueil rouillés, les coffres-forts fracturés, les maisons lézardées, les mégots ramassés, le tabac chiqué, le riz brûlé.
J’aime les passions lasses, les slips rances, les vendeuses de caricoles hors saison, les grilles de mots croisés abandonnées dans la salle d’attente de la morgue de l’hôpital Erasme. Je n’aime pas les mots neufs, du magasin, à peine sortis du pensionnat.
Je vole les mots des gens. Je les chevauche et je les possède.
Et, quelques jours après, je les abandonne (sur une berge, au bord de la grand-route) (sur un rocher, en plein soleil, en bordure de la mer), vidés, exsangues, les yeux crevés, le cerveau grillé, des ecchymoses à l’intérieur des cuisses. J’en oublierai le sens, à quoi ils pouvaient bien servir, dans quel village ils étaient nés (région d’origine, d’engraissement, d’abattage) et comment s’appelaient leurs parents.
Des mots reviennent de la rivière. Des mots ramènent de l’eau dans des bouteilles de bière. D’autres vêtus de noir enterrent leurs morts. Des proches s’effondrent en pleurant.
Copie servile et pillage illicite, parasitisme condamnable, je vole !
Je traque les mots des gens. Scènes de panique. Affrontements à coups de mitraillettes, grenades, bombes et roquettes anti-char. Echanges de tir devant l'église Saint-Boniface. Gémissement des blessés. Des impacts de balles retrouvés sur 4 voitures en stationnement.
Je trace des cercles lents au dessus des marmottes, des lapins, des mulots, des musaraignes. Je les débusque des fourrés dans lesquels ils se terrent. Je les accule. Dans des îlots à moitié inondés. Des terrains vagues. Je les isole de leurs parents. Je les arrache à leurs enfants. Je les prive de boisson, de cigarettes et de nourriture (3 jours durant). Je les enferme dans des cages.
D’autres mots, en baskets et survêtement kaki se masturbent dans les couloirs du métro (devant une dizaine d’infirmières terminant leur journée de travail) (et qui les prennent en photos !). Je vole!
Je les kidnappe dans des menus de restaurants chinois. Les mots-concombres amers. Les mots-gombos. Les mots-langues de canard. Amputés vifs. Les mots-fromages de soja. Les mots-pâtés de porc roulés dans des feuilles de bananier.
Je lève les enfants et les chiens (dormant côte à côte sur les trottoirs) (bras et pattes entrelacés). Je les kidnappe. Au moment de leur disparition, des mots souffraient de troubles de la mémoire et prenaient des médicaments. Des mots portaient une veste de cuir bleu (avec un écusson “I am ready for the adventure” sur la manche gauche), un pull-over blanc avec des motifs rouges, un pantalon à carreaux et des chaussons en toile noirs, un manteau jaune et une jaquette rouge.
D’autres portaient une cicatrice sur la mâchoire inférieure (et sur la partie supérieure du ventre), des traces de brûlure au dos de l’avant-bras droit, un gilet de corps thermique à petites manches, un slip bleu vif et des chaussettes bleu foncé. D’autres étaient vêtus d’un jeans, d’un gilet vert-olive et d’un parka rouge et blanc. D’autres encore s’habillaient d’un T-shirt (qui leur descendait jusqu’aux genoux) (le chignon haut, les jambes fines, des poils sur les tétons) et de chaussettes bouchonnant sur les bottines.
Je les ramasse dans les poubelles et dans les caniveaux. Je les lis en silence sur les lèvres des aveugles. Je chasse les mots (qui pourraient t’aller, qui t’iraient si bien) avec un filet à papillon, des pièges à rats, un pistolet d’abattoir, une bonbonne de Baygon, un mandat de perquisition, une caméra de vidéo-surveillance, un crucifix fluorescent. Je les traque. Je les accule. Je les capture. Je les fais fouiller par un costaud. Confiscation du passeport, du permis de conduire, de la carte Delhaize Plus, du ticket de tram et du carnet des Mutualités Socialistes. Attouchements divers sur les parties sexuelles ou les poitrines dénudées.
Je les assomme. Je les marque. Je les mords. Je les gave (les mots sont atteints de tremblements, les jabots éclatent !). Je les mouds. Je les cuis. Je les essore. Je les passe au pressoir. Au hachoir. Je les donne à manger à mes porcs, à mes volailles, à mes mboto et à mes tilapias. Je les défalque et je les incinère. Je les tresse en dreadlocks. Et j’en fais des bouquets. Je te les dédicace !
Le Standard de Liège a été battu par l’Excelsior de Mouscron, 2-1 (Lokonda Mpenza et son frère Mbo Mpenza en ont fait voir de toutes les couleurs au leader du championnat !). Une défaite qui relance la compétition pour le titre.
[1] Bandelette, augmentant l’ouverture des parois nasales, que les sportifs utilisent pour éviter de ronfler sur un terrain de foot ou de rugby, à l'enterrement de Monsieur Longue.
[2] (Vodka américaine) (boîte de jus de tomate, sel de céleri, worcestershire sauce et tabasco, glaçons) (2 cuillères collées l’une à l’autre pour casser les vitres des voitures) (ou whisky russe).
[3] (Fanatisés par les saints sacrements) (piqués à l’hostie) (shootés à l’eau bénite) (dissimulant un regard haineux derrière de grosses lunettes de plastique brun) (des rats de messe !).
[4] J’ai volé ça quelque part. Mais où (et quand, pourquoi, comment) ? et si je compte rembourser qui ?