« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits
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Le Royaume fédéral de Belgique vient de donner son agrément à la désignation d’un nouvel ambassadeur du Zaïre de Mobutu à Bruxelles-Brussel, Monsieur Mbolandinga Katako, de la mouvance politique du Premier ministre, Monsieur Léon Kengo wa Dondo. Il remplacera à une date indéterminée l’actuel ambassadeur, Monsieur Kimbulu Moyanzo wa Lokwa.
La compagnie Benelux Paribas a organisé un symposium consacré aux possibilités d’investissement au Congo-Zaïre. 150 hommes d’affaires belges étaient présents au déjeuner.
Je me suicide à la bile de crocodile[1], à la bave de crapaud, à la sueur du muguet, au jus d'hosties pressées [2].
Nez camard, élocution nasillarde et tendance à la surdité, je ne me suicide pas la bouche pleine. Ni le samedi soir. Mais plutôt le dimanche matin vers 11h10 (après la grand-messe à 15.000 balles) (belges). Ou le lundi, toute la journée (les coiffeurs sont fermés, les boulangeries aussi) (et les poissonneries ?). Aussitôt après mon suicide, j’interroge (tendrement) ma femme mariée, pour faire diversion, donner le change, sauver la face, retomber sur mes pattes, récupérer ma mise:
- Pourquoi les blondes ne se font-elles pas teindre les cheveux en brun ?
- ...
- Oui, mais tout le monde n’est pas un gentleman.
N’importe quoi ! Les chiottes sont occupées (les chiottes sont toujours occupées!) (par quelqu’un, quelque part, un jour ou l’autre). Le lavabo de la salle de bains aussi (une petite “laine”, mise à tremper dans de l’eau savonneuse ?) (un bébé crocodile, un piège à écrevisses) (par Antoinette ?). Je pisse dans la baignoire (vu l’urgence !).
Un vieux souvenir, un prof d’il y a longtemps, m’interpelle:
- L’urgence, ça ne se voit nulle part, cela se considère !
On y lave 8 kilos de moules de Zélande (chez Delhaize, en promotion, à 65 francs le kilo) (belges!)[3]. On y vide les pots de chambre aussi. On y vomit parfois. J’y prends des bains, longtemps, à la recherche d’une inspiration quelconque (dans les chiottes, ce n’est pas mal aussi, sauf le stress) (et cette impression, quelquefois, d’être assis sur une tartine de confiture de fraises) (ou même de prunes) (du jardin de Lieve) (avec beaucoup de sucre) (trop).
Hier, je te cueillais des mots partout (comme je fais les poubelles, sans trop savoir ce que j’y prends, ni pourquoi) (ni à quoi ça pourra bien servir). Sous les meubles et dans les draps. Dans la tête des gens. Entre leurs jambes. Dans les églises et les supermarchés Delhaize ou Aldi. Au bureau. Dans les faits divers des journaux, les prospectus publicitaires, les dictionnaires, les documentaires animaliers, les bouquins de cuisine, les appels à témoins lancés par le parquet de Bruxelles-Brussel suite à la découverte du cadavre d’un homme de race blanche dans un conteneur des entreprises Demets à Neder-over-Heembeek.
Des mots et des phrases toutes entières. Des définitions rassurantes. Des propos lénifiants. Des conversations anodines. Je faisais la sortie des usines de fourrure. Je ramassais les pattes et les oreilles des animaux morts. Les zizis tristes.
Tous dans le trou ! Tous dans la bassine !
Je laissais mariner et puis je malaxais, je modelais. J’imaginais une recette, une sauce, un liant. J’essayais de donner une forme à tout ce fatras, une odeur, un goût quelconque, un climat, un rut. Je lançais des passerelles, j’établissais des interfaces. Je plaçais des épinglages avant l’exécution des rempiétements. Je tissais, je cousais, je collais.
Je rapiéçais. Je rejointoyais.
Aujourd’hui, je t’écris à l’affût (mais je somnole un peu). Je t’écris comme je vais à la pêche (si j’allais à la pêche[4]). J’attends que ça morde. J’ai tendu tous mes pièges[5]. Tôt ou tard, ça va péter, non ? La grosse embrouille! Mais le ciel est calme et gris. Couverture nuageuse assez importante en matinée avec, par endroits, quelques bancs de brume et de brouillard. De faibles pluies et des bruines en fin d’après-midi et en soirée. Le ciel est belge. Comme toujours. Rien ne se passe. Amiante, paille de verre et duvet de canard dans la cervelle. Je ne vois pas le bouchon glousser.
Le voyage en Espagne d’André Faucheur (l’officialisation des relations entre les 2 jeunes gens, la demande officielle en mariage, la rencontre des 2 familles, la cérémonie de fiançailles) est remis à la fin décembre.
- Si ce n’est à mars ou en avril !
Najat, pourtant, s’installe à la maison. Ce matin. Avec son môme (et son mixer). Dans la chambre d’amis. Pour quelques jours. Ça va peut-être donner quelque chose. Je téléphone à ma femme mariée:
- Ta Veuve est déjà là ?
(Et pour la faire râler, je l’appelerai Jeannette ?) (ça marche toujours).
(Oh!) (me lit-elle)[6].
[1] (On s’arrache, on tire sa révérence) (on n’a pas envie de jouer dans la pièce des gens) (le rôle qu’ils vous assignent) (on dépose son sac sur le bord de la route, on met ses lunettes sur la table de nuit, on débranche le téléphone, on jette sa montre aux orties, on enlève ses boucles d’oreilles et sa moumoute) (on délace ses chaussures, on dégrafe son corsage, on déboutonne sa braguette, on place son râtelier dans le verre à dents, on dénoue sa cravate, on vide ses poches, on brûle ses manuscrits, on laisse tomber la clef dans la cuvette des chiottes) (on tire la chasse) (on commence par retirer ses chaussettes et on achève de se déshabiller) (les sous-vêtements coquins, le piercing sur la langue et les tétons, les bijoux intimes, le bracelet en or autour de la cheville) (on coupe l’accès à l’ordinateur, on actionne le siège éjectable).
[2] Hosties fraîchement cueillies, réduites en pâte, laissées fermenter, pressées à la main.
[3] Et les blettes (du père) de Hans (de Westoeter) (une stère de blettes à nettoyer d'ici demain !).
[4] Avec (la complicité de) Paulo Carter ! des asticots vivants cousus sur la ligne.
[5] Une épingle de sûreté grande ouverte, une agrafe poisseuse, un cure-dent rouillé.
[6] Mais on s’adore, non ?