lundi 19 avril 2010

Le cul de ma femme mariée - Chapitre 22

Didier de Lannoy
« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits


22

Cancer généralisé. Métastases. De source sûre, qu’ils disent ! (dans l’opposition “radicale”). Il en aurait pour 6 mois. Tout au plus. Mais ça pourrait aller beaucoup plus vite. Mobutu est mourant et me voilà sauvé !

(Il aurait refusé de se faire opérer il y a 4 ans déjà, quand il était encore temps).

(Ses médecins lui auraient suggéré “la totale”).

(Bien sûr qu’il ne pouvait) (absolument !) (pas accepter ça[1]).

(Quoi ça !) (on dépose son chapeau sur tous les lits de la République du Zaïre) (sa canne et sa toque en peau de léopard !) (et on voudrait lui enlever ça ?) (les exercices d’assouplissement physique que lui commande sa vigoureuse constitution !).

(On culbute et on lime la soeur de sa femme, on enfile et on tronche les filles de ses maîtresses) (on tringle et on ramone les rideaux et les bureaux de ses ministres, de ses généraux, de ses ambassadeurs et des administrateurs de ses services de sécurité) (on défonce et on empale les épouses des opposants et les nonnettes du cardinal).

(On exerce son droit de cuissage sur les téléspeakerines de la “Voix du Zaïre” et les “Elues du Peuple”) (on joue de la flûte traversière, du saxophone et du trombone à coulisse) (on grimpe et on saute les basketteuses de l’équipe nationale) (les volleyeuses et les femmes commerçantes) (on joue de la grosse caisse et du bombardon) (on s’accouple aux danseuses-vedettes des groupes d’anination) (politique et culturelle !) (on joue de la moissonneuse-batteuse et du marteau piqueur) (on saillit).

(Courtisanes et gourgandines, on s’en met plein les couilles !).

(On nique les écolières, les élèves et les étudiantes) (de la Gombe[2] et de partout ailleurs) (on course, on gaule, on pine, on bourre) (on épingle, on agrafe, on enfourche, on enfourne) (on embroche les mères, on fracture la tirelire des enfants) (le pouvoir par la quéquette !) (on marque la bête, on la chevauche, on la cravache) (on appose son cachet sur le sexe de l’adversaire) (on plombe, on estampille !) (on viole la femelle, on humilie le mâle[3]) (coup pressé !) (quetter-jeter) (on rote, on pète, on éructe) (on se mouche !).

(Et on voulait lui enlever ça !) (la canne du Maréchal !) (se moucher dans les draps d'autrui) (et Kinshasa apprendrait ça !) (Kampala ou Kigali) (Brazzaville, Luanda ou Lusaka) (le quartier Matonge à Ixelles-Elsene) (la place des Etangs noirs à Molenbeek) (la Mandibule, le Verseau et l’Ultime secours).

Il était temps. Ilunga Lupuishi est mort depuis plus d’un mois. Baudouin Kalonji vient de mourir. Et maintenant Ya Ntesa, alias Dalienst. Il serait temps de les venger, tous ces morts-là ![4] qui ont tous rêvé d’une vie meilleure (et dont les enfants restent ).

Les affaires vont pouvoir redémarrer.

Au siège belge d’Agfa Gevaert (Mortsel), la direction envisage une nouvelle réduction du personnel de l’entreprise (on parle de la suppression de 600 postes de travail).

Tension entre le Zaïre de Mobutu et le Rwanda. Affrontements armés. Tirs de mortier. Un mort et plusieurs blessés à Bukavu.



[1] Le coq règne sur toutes les femelles de la basse-cour, il ne peut pas se permettre de rater une seule poule! (et chaque poule pond 365 oeufs par an ?).

[2] Les tendrons du Sacré-Coeur et de l’Athénée, les intellectuelles de l’Institut supérieur pédagogique, les semi-professionnelles de l’Ecole Pigier, les esthéticiennes de chez Gladys.

[3] Le soutien-gorge défait, le pagne retroussé, on complimente sa partenaire. On l'honore et on la récompense !

(S’insurge-t-elle, on lui apprendra à qui elle a affaire !) (on la livrera aux chiens du Sarm ou de la DSP) (aux hyènes et aux crocodiles) (au dépeceur de Mons) (aux varans !) (et que personne ne puisse plus jamais s’en servir) (ni mari, ni amant) (et ni petit poussin !).

On promeut l’époux complaisant, on le congratule, on lui injecte une puce électronique derrière l’oreille:

- C’est bien, Petit, tu es un garçon intelligent, on est content de tes services, tu iras loin !

(S’insurge-t-il, on lui fera bouffer ses couilles !) (on signera une ordonnance présidentielle) (on dégradera le mutin, on dégommera le rebelle) (l’anti-parti !) (on l’exilera à l’intérieur du pays ou dans une ambassade d'Asie ou d'Amérique du Sud) (on provoquera une crise de malaria, une intoxication alimentaire, une attaque d’apoplexie, un accident d’hélicoptère !).

Ejaculation plantureuse et satisfaction béate !

(Président fécondateur, oyé !) (Grand Léopard, oyé !) (Mouvement Populaire de la Révolution, oyé !)

Un temps, puis on se lasse. On se cure les dents. On se ronge les ongles. On siffle la fin de la récréation. On vire l’ennuyeuse de la couche maréchale. On va se moucher ailleurs. On change de modèle, de série. On rajeunit !

On la nomme, en qualité d’indicatrice privée (appointée sur la cassette personnelle de Père de la Nation), au Bureau politique, au Comité central, au Conseil exécutif ou dans l’Administration du Territoire. Pour sa disponibilité permanente, son engagement révolutionnaire, sa fidélité au Guide, aux idéaux et à la devise du Parti-Etat: Servir !

[4] A chacun ses rendez-vous, son dictionnaire de noms propres, ses galeries de portraits foireux, ses images pieuses et ses photos pornos, ses tranchées de cadavres, ses bocaux de confitures. Pour avoir un mort à soi, il n’est pas toujours nécessaire d’avoir reçu un carton, de payer sa cotisation, d’être invité à la fête (dormir au matanga, se taper la messe de service, accompagner le corps au cimetière ou à l’aéroport) ? Voici les miens. Atteints par la limite d’âge ou morts avant, trop tôt, tués par la bête. Morts par accident, de lassitude, de manque d’argent, de manque d’amour, de manque de soins. Et morts autrement (torturés, empoisonnés, suicidés, exécutés, pendus) (jetés aux crocodiles) (dépecés ou dissous). Connus et inconnus. Puissants et misérables. Banals et légendaires. En dehors de tout classement (les cartes ayant été brouillées) (comme toujours !) (par un tricheur professionnel) (affectif, chronologique, alphabétique, idéologique). Tous dans le trou ! Je cite (j’en vole et j’en oublie!) (dans tous les camps, de toutes les confréries) (et j’espère bien que mon pense-bête en fera drôlement chier quelques-uns !):

Adu Elenga (Ata ndele mokili ekobaluka).

Le grand Kalle (qui n’a jamais chanté Mobutu), Mopepe, Ebale Mondial, Emoro, Bavon Marie Marie, Chantal, Mujos, Kapia, Kisangani Espérant, Luambo (alias Franco) (aleki bango!) (Luambo Makiadi n'a jamais cessé de chanter Mobutu) (Franco de mi amor a toujours chanté les gens de Kinshasa) (et aussi) (qui s'en souvient ?) (Liwa ya Emery).

John Lee Hooker, Edith Piaf, Jimmy Hendrix, Janis Joplin, Kurt Weill.

Isaac Musekiwa, Maman Angebi, Maître Fanon (le patron du Self-Control et de Taz-Bolingo) (chez Maître Taureau, à la frontière entre Yolo-Nord et Yolo-Sud).

Le papa et la maman de Denise (et ceux du mari de ma femme mariée).

Bimanyu Kamanzi (que tout le monde appelait Soum), Victor Matondo (recommandant à Hortence de ne pas tomber dans le trou !), Alain Moens, Myriam Guestan, Kabombo Wadi (notant ah! en bas de ses pages), Hubert Tshimpumpu, Dany Luntadila, Mabika Kalanda, Bayo, Tango, Nkieri, Daniel Ndayitabi, David Gould, Mbemba Mulopo Misekele (Justin-Marie), Kabeya-le-pilote, Jean-Claude Méhu, Jean-Pierre Brunin, Adèle Fleck, Christophe Kata, Lilian Tala-Ngai, Louis Fodderie (Jan-Kuk), la femme de Magnat, sa soeur aussi, le frère Otton, le docteur Nyombahire (à qui je dois la vie d’Eric), Guy Keutgen.

La femme de Bernardo, la mère de Nono, les maris de mes soeurs, l’enfant de Koko Anselme, la soeur de Lup, le père de Gaëtan, celui de Mohammed.

Patrice-Emery Lumumba (assassiné), Mehdi Ben Barka (assassiné), Malcolm X (assassiné), Camillo Torres (assassiné), Ernesto Che Guevara (assassiné).

Dashiell Hammett, David Goodis, Chester Himes (mort en exil), Boris Vian, James Ensor, Edvard Munch, Dylan Thomas, Antonin Artaud, Nazim Hikmet, Amos Tutuola, Tristan Tzara, Pablo Neruda, Léon Damas, Lomami Tshibamba.

Rosa Luxembourg (assassinée). Le député Julien Lahaut (assassiné).

Okito et Mpolo (assassinés), Sylvanus Olympio (assassiné), Félix Moumié (assassiné), Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné (assassinés), Mohammed Boudiaf (assassiné).

Max Stirner, Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine, Petr Aleseïevitch Kropotkine, Louise Michel (déportée), Jules Vallès, Buenaventura Domingo Durruti (mort en défendant Madrid !).

Michel Servet (esprit frétillant), Wilhelm Reich (mort au pénitencier de Lewisburg en 1957), Sacco et Vanzetti.

Sergueï Aleksandrovitch Iessenine (suicidé en 1925), Vladimir Vladimirovitch Maïakovski (suicidé en 1930).

Emiliano Zapata, Giap, Cochise et Geronimo (de la nation apache), Chaka, Msiri, Kimbangu (mort en déportation, à Lubumbashi), Toussaint Louverture (mort en déportation, au fort de Joux).

Kimba, Bamba, Anany, Mahamba (assassinés par Mobutu). Pierre Mulele (assassiné par Mobutu). Le major Kalume (assassiné par Mobutu).

Saïd Charki (assassiné par les gendarmes) (troupes d'occupation débarquant à Cureghem !) (insultant les femmes) (bousculant les vieux) (dérouillant les enfants) (leurs autopompes, leurs ambulances, leurs magistrats) (le ministre de l'Intérieur et les bourgmestres-godillots).

Vicente Giner.

Louise Valois, Nadia de Baerdemaeker, Vincent van der Meersch, François Fer et Rosa Bolle.

Roland Vanden Bogaert, Benoît Quersin, Robert Defise, Kasongo Kimungu.

Charlotte de Miguel, Albertine du Juge.

Durand (à vérifier).

Il n’y a pas de quoi remplir un stade.

Et les vivants ? (les anonymes, les sans-papiers). Il n’y a pas de cimetières pour les vivants ? (les anonymes, les sans-papiers).

Et comment s’appelait-il encore (et d’où pouvait-il bien venir), celui-là qui pissait sur une billetterie de la chaussée d’Ixelles, près de la galerie du même nom, la nuit, vers 2 heures du matin ? qui nous a offert à boire dans un bistrot du couloir de la mort ? qui nourrissait ses tortues aquatiques avec de gros morceaux de viande sanglante et qu’on a retrouvé noyé dans la pièce d’eau d’une villa des beaux quartiers francophones d’Uccle ou de Woluwe, grignoté par des poissons exotiques ? (ou dans les eaux du canal de Charleroi, à proximité de l’écluse de Viesville ?).

Et le concierge du 48 quai du Commerce à Bruxelles-Brussel ? (que j’aurais dû gazer au Baygon, depuis toujours!) (et qui s’est dépêché de mourir du cancer et de la tuberculose, lâchement, pour éviter de se faire crever la peau ?).

Et le squelette d’un homme (sans âge, sans race, sans sexe) découvert au fond d’une cuve de coca-cola, à Kinshasa ?

Et ceux qui se sont plantés (un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout) (plutôt baiseurs ou plutôt baisés?) et qui, pourtant, ont été des connaissances ou des amis (un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout) ? ai-je le droit d'exclure de mon cimetière ceux qui ont choisi le mauvais camp (y a-t-il de bons morts et de mauvais morts) (des morts d'un côté et des morts de l'autre) (des morts de face et des morts de travers) (des morts politiquement corrects et d'autres qui ne le sont pas) ? Baudouin Djogo, Sombo Dibele Awanan, Mobyem Mikanza (qui a écrit et/ou mis en scène une "Bataille de Kamanyola"), Bisengimana Rwema, Mpinga Kasenda, Mulumba Lukoji ?

Et ceux qui sont morts depuis ? Oscar Lassman, Ronald Verbeke (à qui j’aurais bien aimé faire lire mon roman) (et dont j’ai retrouvé le sourire sur les lèvres d’un marchand de parfums) (ambulant) (à la feria de L'Eliana), Clément Ndjoli (alias Antilope), Noko Fabien, Christiane Bourlon ?

Et de combien de personnes, non encore décédées, ai-je pu renifler le cul, toute ma vie durant ?

On racle ses fonds de tiroir, on souffle sur de vieilles braises, on vide les poches de ses premières culottes, on fiche et on établit la liste des badauds à convier au vernissage, à la fête de l'Huma, au lâcher de ballons, au crématorium de Wilrijk ? Ça ne leur plaira pas toujours de se retrouver dans mes placards ? et dans les carnets d'adresse de JPJ ? en compagnie de qui ! (n'y a-t-il jamais prescription ?).

On leur enverra quand même un bulletin de souscription ! Ojala !