lundi 19 avril 2010

Le cul de ma femme mariée - Chapitre 29

Didier de Lannoy
« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits

29


Porteur de cercueils dans une société de pompes funèbres, directeur commercial d’une usine de traitement et de conservation de poissons, accrocheur de wagons dans une mine de chocolat, je te dresserai des ours en peluche ! Je te cuirai du poisson frais dans du lait de coco ! J’irai me promener dans les sentiers humides et te ramènerai un plein panier de chanterelles, de girolles[1] et de bolets (et le petit chaperon rouge vif, à pois blancs ?).

J’apprendrai à jouer de la trompette, du saxophone, du trombone à coulisse, du piano à bretelles et de la cornemuse. Du peigne, de la canette de bière, du couvercle de casserole et du bidon d’huile de palme. De l’aspirateur et du robot ménager. J’arroserai les fleurs de ton jardin avec de l’eau de source (en bouteilles recyclables !). Je te planterai des saules, des aulnes, de l’aubépine et des fougères. Je déchirerai les filets des tendeurs, j’ouvrirai les volières et je viderai les aquariums (dans un jacuzzi !) (ou dans un vase d’expansion, un bidet, un dépotoir, un tout-à-l’égout). Je libérerai les chardonnerets, les tarins, les pinsons et un bouvreuil (à 5.000 francs) (belges). Comme si rien ne s’était passé.

- Ça va, la puce ?

(Vive et gazeuse, le visage éclaboussé d’éclats de rires-champagnes) (mais, un jour, peut-être me bandera-t-elle les yeux et m’emmènera-t-elle faire un tour sur son jeu de l’oie) (qu’elle me prépare?) (depuis un certain temps) (en secret) (avec plein de sourires grimaceux et grinçants, de portes-trappes, de miroirs-tourbillons, de boas-aspirateurs, de robots-guillotines, de chiottes-oubliettes, d’attrape-mouches capiteux, de bacs à sables mouvants, d’armoires fécales et de flaques d’urine, de ruelles-ordures dans des villes-cloaques, de contrôles d’alcoolémie à la sortie des sacristies, de retour à la vie normale ou à la case départ?).

Sortons les disques du congélateur ! Festoyons ! Traquons les émotions fortes dans les confessionnaux ! Installons des caméras de surveillance dans les petites culottes ! Jetons les Carmélites à la rue, sur le trottoir ! Creusons des trous de golf dans les courts de tennis ! Ouvrons les camps de récréation et libérons les enfants! Revendiquons le droit d’être sorcier à la lumière du jour ! En plein midi ! Baisons la mort et trompons-la ! Jouons à cache-cache dans les cimetières et braquons les héritiers ! Prenons le parti de l’impudeur et de la trivialité ! Invitons des Veuves et des Veufs (on n’invite plus les couples, c’est chiant les couples)[2] (ou des Veuves affublées d’un micheton, c’est pareil) (ou des Garçons maqués). Laissons Grincheux à ses courses hippiques, à sa grille de loto, à ses pronostics de football et à sa feuille d’impôts ! Déposons Bobonne à l’église Saint-Boniface ou chez belle-maman !

Marquons notre tanière d’un jet d’urine ! Exagérons ! Chions dans les brancards (sur la place du village) (au milieu du salon) ! Cultivons l’outrecuidance et la mauvaise foi ! Inventons l’eau soluble (le sperme en poudre, la sueur et les larmes) ! Inventons les téléphones jetables (et les toilettes aussi) ! Laissons-nous aller à un érotisme racoleur ! Multiplions les activités sexuelles pendant la Semaine Sainte ! Embrassons les marteaux sur la bouche et sur les 4 joues ! Faisons le commerce des osselets tremblants et des grenouilles de baignoire ! Plantons le cannabis et la mandragore dans les bacs à fleurs municipaux ! Gaudrioles, sacrilèges et jeux de massacre, cabotinons gaiement ! Dégoulinons de graisse rance ! Lançons des boules puantes dans les bordels et les prieurés ! Dans le bus 54 et la salle d’attente du crématorium de Wilrijk ! Du fluide glacial et du poil à gratter ! Interdisons aux nudistes le port de la moustiquaire ! Servons la grand-messe du dimanche et versons du Roche 4 dans les burettes du prestidigitateur ! Taguons la robe du Pape et la pyramide du Louvre (le ventre de la femme enceinte) ! Graffons ! Scotchons les agendas, les boutons de sonnette, les interrupteurs, les modems, les télécommandes et les cartes magnétiques ! Obligeons les cyclistes à rouler à pied ! Yeah !

Emparons-nous d’un ascenseur des lignes intérieures du Résidence Palace. Crevons les tympans, perçons les hymens, décalottons les glands et partons pour plus tard ! Invitons les mâles célibataires, les veufs et les divorcés à s’inscrire dans un registre des garçons publics (appelé aussi, à Kinshasa, registre des hommes libres ?) et à se soumettre à une inspection médicale mensuelle (ou 2 fois par semaine) ! Imposons aux membres du clergé le port de la capote (et la carte de visite prophylactique.

- A exhiber à toute réquisition !).

Cessons résolument de reconstituer notre force de travail ! Restituons le Texas aux Mexicains (San Francisco, Los Angeles, San Diego y Las Vegas tambien) ! Insurgeons le parvis de l'église Saint-Jean-Baptiste à Molenbeek ! Accrochons des pancartes et des clochettes au cou des indicateurs de police et des rats d’église (de mosquée, de temple et de synagogue[3]) ! Dissimulons des grillons rapeurs et des limaces gluantes dans les baise-en-ville des cocottes de la Haute finance ! Rasons gratis les châteaux rouillés en Ardenne rude et profonde ! Raccourcissons les aristos et rabougrissons-les (les Delhaize de Hennin, les Générale de Banque) (les Jésus de Nazareth) ! Ouvrons-leur les yeux avec un décapsulateur! Equeutons-les ! Bango na bango ! Faisons l’amour à un chewing-gum poisseux sur un matelas à eau ! Léchons le dos des crapauds ! Sautons à pieds joints dans un pot de confiture de prunes (du jardin de Lieve) ! Applaudissons les points perdus par l’adversaire! Pétons et pissons de rire (par les narines, par les oreilles, par les mamelles) ! Puons du bec de lièvre en sauce ! Sombrons dans la vulgarité ! Vivons nos illusions ! Jusqu’à la lie ! Traversons la mer Morte en dehors des passages cloutés ! Donnons une sépulture chrétienne au Petit Lénine, au Petit Blanc et au Petit Ixelles ! Gagnons la pleine lune à la loterie nationale ! Allumons un grand feu de bois sous le fauteuil du patriarche ! Mettons le feu aux ailes des moulins à vent et aux autopompes de la gendarmerie ! Plongeons sans élastique du haut du pont de la rivière Kwaï (ou du pont Jacques Cartier à Montréal)! Abolissons les privilèges de l’âge et l’imparfait du subjonctif ! Poursuivons les pompiers de la Région de Bruxelles-Capitale (Brussels Hoofdstedelijk Gewest) pour violation de domicile conjugal ! Manquons à la dignité de notre fonction et aux devoirs de notre état ! Prônons la réouverture des maisons closes (pour limiter le risque-trottoir des prostituées régulièrement exposées aux fumées du diesel)! Avalons un coeur de serpent cru ! Donnons l’ordre d’abattre les chevaux, les chiens et les fuyards ! Coupons la tête du Kilimandjaro! Scions les branches du crucifix ! Couvons un oeuf de dinosaure dans un four électrique ! Ayons (une fois) (avec d’excellents amis[4], et de la bière du pays) (un samedi soir) fondé la SOB, la Société de l’Outrance Belge, dont le siège social se trouvait 48, quai du Commerce, à Bruxelles-Brussel (au fond, à gauche, premier étage)[5], dans les années 80.

Détruisons les âges d’or et les familles unies ! Haïssons les communions solennelles, les promenades au Bois de la Cambre et dans la forêt de Soignes, les 3 oncles missionnaires (au Kivu, au Kasaï et au Katanga), le Berlaymont des nonnettes du Sacré-Coeur, les retraites bien méritées et les vies bien remplies (aimons cependant les courses de mobylettes et de voitures volées, les matchs de canettes de bière entre 2 portes de garage, la foire du Midi et les bistrots de minuit, les frites au cervelas et les vitrines de la rue d’Aarschot, aux environs de la gare du Nord) (trayeuses d'hommes laissant les enfants des écoles regarder leur fesses) (marquées au fer rouge par les vétérinaires de la Région de Bruxelles-Capitale) (Brussels Hoofdstedelijk Gewest) (à la fleur de l'iris !) (aimons aussi la gueuze et les maatjes, les rollmops à la mayonnaise) (aimons surtout Jeanneke Pis ! quand elle a trop bu, dans une impasse, près de la rue des Bouchers) (au Zerbeute et au Makutano) (depuis déjà 10 ans).

Saccageons les chaises longues du jardin sous les lilas en fleur, le Concert Noble[6], les cours de danse Elbo, les vacances au Zoute, les concours de châteaux de sable, les musées du Cinquantenaire et de Tervuren, l’exposition coloniale de 1897, l’exposition universelle de 1958, les défilés de mode d’anciens combattants, les lettres pastorales et les bons du Trésor ! Explosons l’Atomium ! Mettons le feu à l’Innovation et au Bon Marché ![7] Kuifje barst ! Que Tintin crève la gueule ouverte ! la Belgique verte et riante, riche et prospère, joyeuse et méritante ! Conchions ! Compissons ! Détruisons ces temps-là ![8]

(Je ne m’appelais pas encore Vieux) (je n’inspirais ni crainte ni respect).

(On m’appelait Petit).

C’était un temps de mots différents, agencés autrement. Le temps des gens de bonne compagnie, des esprits cultivés qui brillaient devant des parterres exigeants. C’était un temps de merde. Distinction, bienveillance, politesse exquise, langage châtié, on maîtrisait l’orthographe, l’éventail et le baise-main. On avait fait son droit à l’Université catholique de Louvain et des humanités gréco-latines dans un collège de Jésuites (Notre-Dame de la Paix, Saint-Michel ou Godinne). Enfant de choeur particulièrement doué, on avait renoncé (vers l’âge de 12 ans) à une brillante carrière ecclésiastique. On était administrateur de sociétés, membre d’une société de vénerie, général honoraire ou président d’un Comité de direction.

- Rappelez-moi votre nom...

On était commandeur ou officier de différents ordres nationaux, titulaire de nombreuses autres distinctions honorifiques. On ne connaissait pas le prix du ticket de tram ou d’un cornet de frites[9]. On savait recevoir, choisir les crus français (et les fromages de même ethnie), servir le scotch et les biscuits salés.

On effleurait d’un baiser la main des femmes et des évêques. On organisait des soirées de gala (pour marier ses filles), un safari sous les Tropiques, une exposition de meubles anciens. On présidait sur l’hippodrome de Boitsfort, de Groenendael et de Sterrebeek[10], un grand prix réunissant les meilleurs pouliches de 3 ans. On achetait Jours de France, on s’abonnait à l’Eventail (on lisait l’Echo de la Bourse, le Figaro littéraire et la Libre Belgique) (La Nation belge, Pan et Europe-Magazine). On savourait un cigare au cognac. On tenait des conversations dont les conséquences pouvaient être considérables pour la suite des événements.

- Rappelez-moi votre nom...

On se laissait glisser dans les douceurs de la sieste. On prenait les malheurs du monde avec une certaine élégance. On dissimulait ses émotions. On faisait preuve de caractère. On laissait braire. On vivait retirée du monde (entourée d'un jardinier, d'une cuisinière, d'une femme de chambre, d'un chauffeur et d'une dame de compagnie). On savait tenir son rang.

C’était un temps de merde. On dormait dans des draps brodés à l’aiguille. On portait des dessous en dentelle (avec armoiries). On était membre de l’Opus Dei, de la confrérie de la Bienheureuse Anne de Barthélémy, de la confrérie Saint-Vincent et de l’Archiconfrérie de Notre-Dame du Suffrage. On était ancienne cheftaine des Guides de Belgique. On pratiquait la charité chrétienne bien ordonnée. On déposait son obole. On organisait un déjeuner (auquel participaient élégantes et bienfaiteurs) au profit d’une association caritative. On ouvrait des chauffoirs et des mouroirs. On invitait les scouts de la paroisse et les rhétoriciens du collège à distribuer de la soupe (à la grosse couenne de lard) et des couvertures de coton gris dans les gares de chemin de fer.

- Rappelez-moi votre nom...

C’était le temps des honnêtes hommes et des dames d’oeuvre[11]. Fancy-fairs et tombolas, on gérait la compassion des uns et la misère des autres (au mieux des intérêts) (bien compris !) (de tous).

On avait ses pauvres-à-soi (et on se les gardait, férocement !) (on portait assistance et réconfort aux plus démunis, on leur réchauffait le corps et le coeur) (la foi, l’espérance et la charité) (on organisait un réveillon à leur intention) (de 20 à 22 heures) (on invitait les enfants de ses pauvres-à-soi à dépouiller un magnifique arbre de Noël) (on distribuait de nombreux cadeaux) (chevaux et sabres de bois, poupées de chiffons, trottinettes, tambours et trompettes) (catéchismes et images pieuses) (friandises et brosses à dents). On tenait des discours moralisateurs de bon aloi.

- Rappelez-moi votre nom...

C’était un temps de merde. Le prêtre bénissait la meute sur le parvis de l’église. On habitait des maisons de maître (donnant sur des avenues bordées d’arbres centenaires) (ou sur de prestigieux boulevards) (avenue Louise, avenue Molière, avenue de Tervuren) (120) (avenue du Prince d’Orange) (boulevard du Souverain) (400) (un portillon, dissimulé dans la haie, au fond du jardin, permettait d’accéder directement aux allées du Parc de la Woluwe) (et de rejoindre à pied l’église paroissiale du Chant d’Oiseau) (on observait les écureuils, les rouges-gorges et les rossignols) (et un bouvreuil) (on donnait à manger aux cygnes et aux canards)[12].

On assistait aux messes à cheval de la Saint-Hubert (sous le dôme feuillu de la forêt de Soignes) (unis par un même amour du cheval et par une haute idée de l’esprit sportif et d’entraide). On était juste et sévère. On vouvoyait ses enfants. On n’hésitait pas à les priver de leur équitation, d’une partie de golf ou d’un séjour dans une station de ski. C’était le temps des teints laiteux, des maux de tête incessants, des nervosités, des léthargies. C’était le temps des jeunes filles craintives, fragiles, effarouchées, qui mouraient de consomption.

C’était le temps des colonies, de la cueillette du caoutchouc (des mains coupées des réfractaires), de la construction du chemin de fer Kinshasa-Matadi (de ses 300.000 morts, un par traverse), des plantations de coton et de café, des cultures obligatoires, des travaux forcés (d’ordre éducatif !), de l’évangélisation accélérée, de l’Union Minière du Haut-Katanga, de la répression des révoltes paysannes, de la relégation des Kimbanguistes. C’était le temps des tailles bien mises, des bustes agréables (des corsages généreusement remplis), des pieds mutins, des délicieuses oreilles, des maintiens réservés, des airs ingénus, des tenues discrètes (des épaules impertinentes). On fréquentait des dames dont on taisait le nom.

C’était un temps de merde. On était d’un commerce agréable. On troussait les servantes (cirant à 4 pattes le parquet des salons) et les lavandières. On lutinait les filles du jardinier. On avait des gens. On avait du bien. On présidait un conseil d’administration, un club de golf, une ONG humanitaire, une association royale patriotique (d’anciens combattants, d’invalides de guerre ou de résistants) (diplômés et médaillés).

On n’avait pas besoin de travailler. On n’en avait pas vraiment le temps. On devait participer à un week-end de chasse, à une veillée de prières, à une soirée de bridge, à une réunion du Lion's Club. On était invité à prendre le thé chez une grand-tante, chez Monseigneur, chez le Ministre ou chez l’Ambassadeur. On avait des visites à rendre, un chapelet à réciter, des relations à cultiver. On était attendu au théâtre, au concert, au bordel, au Bois (promenade discrète sous les charmes et les ormes), à Spa ou à Ostende (à l’hippodrome Wellington, à l’hôtel des Thermes, au Casino) (on n’avait guère l’occasion de fréquenter les indigènes), dans ses propriétés. On avait du courrier en retard. On devait déposer sa carte à la mortuaire, assister à un cocktail ou à un vernissage.

- Rappelez-moi votre nom...

C’était le temps des architectes. On rasait le quartier des Marolles. On traçait au compas et à l’équerre les allées du parc de Bruxelles-Brussel. On confiait à Alexandre Marcel la construction de la Tour japonaise et du Pavillon chinois. Gédéon Bordiau dessinait les squares Marie-Louise, Ambiorix et Marguerite. Victor Horta s’éprenait de la ligne “coup de fouet”. Paul Cauchie et sa femme s’installaient, rue des Francs, à Etterbeek. C’était le temps des bonnes familles, des jeunes filles du meilleur monde (portant 2 très longues tresses dans le dos) (que des cousins boutonneux se plaisaient à tirailler). C’était le temps du plaisir qui affleure.

C’était le temps des charbonnages, des aciéries, des métallos. Les gueules noires pataugeant dans l’eau grise (la sueur et la suie, les lèvres sèches, les yeux qui rétrécissent, les poumons détruits par la silicose). Les gendarmes chargeant à cheval, sabre au clair. L’armée tirant sur la canaille à Grâce-Berleur[13] (dont un peloton de troupes blindées) (en provenance de la caserne de Flawinne?) (près de Namur). Les catacombes de Bois du Cazier. Le puits Saint-Charles. C’était le temps des travailleurs italiens (ukrainiens, espagnols, turcs, yougoslaves, marocains, polonais) déportés. On se tenait bien à table. Les enfants n’avaient pas le droit de parler avant le dessert. Les femmes du monde avaient, à heures fixes, leurs crises et leurs vapeurs. La reine voyait ses espérances cruellement déçues (jamais elle n’avortait !). Les personnes de qualité s’évanouissaient en respirant un bouquet de violettes. Et s’évanouissaient plus encore à la vue d’une araignée, d’une écrevisse ou d’une bite. C’était le temps où l’on enfermait de tendres pucelles dans des bordels divins pour archiprêtres pédophiles.

Kuifje Barst !

Crucifixion sur la chaise électrique, noyade dans un bûcher d’enfer, pendaison à la guillotine, rôtissage sur la très sainte croix, whisky servi sur des glaçons d'urine, olé !

La caque sent toujours le hareng. Aujourd’hui, contre tous ces guignols qui font le malheur des autres avec autant de savoir-vivre (de raffinement, de détachement, de bonnes manières), je requiers les peines appropriées.

Et ce Jésus de Nazareth-là, qu’il crève du tétanos ! puisque les clous seront rouillés[14].

Oufti !

Je traverse la gare Schuman. Au pied du Résidence Palace. 16h30. Une harde fourbue de bureaucrates francophones en partance pour Limal ou Gembloux (voie 1) fait face à une harde fourbue de bureaucrates néerlandophones en partance pour Vilvoorde ou Mechelen (voie 2). Tous éteints. Plus personne ne regarde plus personne. Ni dans son troupeau, ni dans celui des autres. Plus personne ne parle à plus personne.

Tout le monde se retient de péter. Et quand, par inadvertance, un éclat de rire sort (timide, prudent) une nuée de regards réprobateurs se lancent à sa poursuite et cherchent à lui crever les yeux. Le coupable, vite fait, rattrape son rire, lui arrache les couilles, lui tord les seins, lui casse la nuque, lui tranche la gorge (et l’enferme pour toujours, dans un kleenex, au fond d’une poche).

Oesje !

Je reviens à la maison en bus. Je prends le 54 à l’arrêt Maelbeek, sous la rue de la Loi, à côté des bas-fonds de l’hôtel Europa (le parking souterrain, la pompe à essence, le garage, la salle de fitness) (l’entrée des putes et des travestis, des cartomanciennes, des rebouteux, des livreurs de pizzas et de derniers sacrements, des flics véreux et des croque-morts ?). Je descends place Fernand Cocq, à Ixelles-Elsene.

Je lance des phrases en l’air que je n’arrive plus à rattraper. Je jappe des mots dont j’ai perdu le sens. Je t’écris une lettre comme un cadeau d’adieu, avant que tu ne me vires, avant que je ne me barre.

- Barre-toi ! (que j’aille me faire aimer ailleurs, que j’aille) (une fois !) (à la gare avec ma valise, que je grandisse enfin !) (elle en a marre d’avoir épousé un sale gamin de merde), tu ne vieilliras donc jamais ![15]

C’était il y a 15 ans. Ou presque. 48, quai du Commerce. Dans la piaule de JPJ (on appelait ça un loft ?) (très culturel, bien fréquenté, plutôt à gauche). Un samedi. A table. On avait bu. Nous avions créé la Société de l’Outrance Belge[16]. On avait inventé ça. On avait nommé un président et des administrateurs ?

Et ça nous était resté sur les doigts. Comme un sparadrap, de la résine ou du goudron, un giclée de sperme poisseux, une salade de gui gluant. On n’avait plus su qu’en faire:

- Il serait temps, enfin, de produire quelque chose ! avant que ce pays ne disparaisse (nom de dieu!) pour toujours[17].



[1] La chanterelle et la girolle, ce serait toujours le même champignon comestible à chapeau jaune d’or, ou presque ? Mais ça ne sonne pas pareil ! Moi, j’aime les mots, au beurre ?

[2] (Tolérons cependant les Veuves dont les keums sont des Garçons) (et les Garçons dont les meufs sont des Veuves) (ce ne sont plus des couples, ça !) (ce sont des coups montés, des complots, des associations de malfaiteurs).

[3] Les dieux sont vieux. Les vieux se ressemblent tous et ne ressemblent à personne. Les dieux sont au régime (sans sel et sans pili-pili). Les dieux ne boivent plus, ne fument plus, ne baisent plus. Les dieux font pipi dans leur culotte. Les dieux ne ratent aucune messe (alors même que les pierres des temples se descellent et qu’un périmètre de sécurité encercle les lieux de culte). Les dieux jouent aux cartes et comptent leurs sous. Les dieux sont laids, envieux et fatigués. Les dieux sont impotents. Les poils leur sortent du nez, des oreilles et du cul. On les surprend à laisser des sucettes dans les cendriers. Et des tétines aussi. On leur retrouve des grains de sable au fond des slips. Les dieux sont mesquins et morbides. Ils ont des poux, ils tirent la gueule, ils pètent, ils rotent et puent du bec. Les dieux votent FN ou Vlaams Blok. Les dieux interdisent de se coucher dans l’herbe, de jouer au ballon, de grimper sur les bancs, d’escalader les statues. Les dieux sont des gardiens de squares.

[4] Walter Swennen était là, JPJ aussi (Anik ?) et ma femme mariée qui n’en avait rien à cirer (d’ailleurs, nous n’étions pas encore mariés) (à peine ?). Pissons par les narines !

[5] Un concierge raciste (chuintant, feulant de haine et de désespoir) (un cancrelat) (que je m’étais promis de gazer au Baygon) insultait la bonne humeur, la jeunesse, la beauté et l’insolente santé de ma fille Hortence. Et crachait ses poumons, dans la cour de l’immeuble, que je n’étais pas inconnu des services de police et de gendarmerie. Et qu’on allait bien voir ! et qu’on allait bien voir ! et qu’on allait bien voir !

[6] (Rue d’Arlon, 82) (où Papa Wemba vient, une fois de plus, de fêter le 20ème anniversaire de Viva la Musica) (Djuna Djanana et Djo Maly) (le droit d’entrée à 900 francs) (belges) (le gobelet de bière à 150 francs) (belges) (de 23h à l’aube) (le cachet de La Référence apposé sur l’avant-bras des connards).

[7] A l’Hôtel de Ville de Paris, aux Tuileries ! au Palais de marbre, à l'ex-Sedec et au Grand Bemba.

[8] Coupons les testicules et réservons-les ! Retirons les têtes et arrachons les affaires intérieures ! Epépinons ! Dénoyautons ! Ecaillons ! Epluchons ! Ecossons ! Blanchissons ! Ebarbons ! Etêtons ! Eminçons ! Désossons ! Tronçonnons ! Effeuillons ! Emiettons ! Réduisons ! Essorons ! Egouttons ! Malaxons ! Ciselons ! Incisons ! Enduisons ! Tapissons ! Enfournons ! Etuvons ! Déglaçons ! Délayons ! Fouettons ! Vidons ! Nappons ! Mixons ! Pilons ! Hachons ! Troussons ! Portons à ébullition sur un feu vif ! Couvrons et laissons cuire jusqu’à ce que la viande se détache facilement des os ! Goûtons et rectifions l’assaisonnement si nécessaire ! (Plus je sale et moins je sucre) (et plus je prends de l’âge ?). Ajoutons quelques branches de menthe fraîche et 10 pastilles d’édulcorant ! Pissons dans les salines et déféquons dans les mines de chocolat !

[9] (Le prix d’une chikwangue, d’un sakombi de haricots, d’un bidon d’huile de palme, d’une boîte de lait Nido en poudre et des médicaments de base) (pilules contraceptives de Hongrie, aspirines indiennes) (le prix d’un coup pressé?).

[10] (Reconvertis en lieux de fêtes et d'événements) (aménagés en greens pour amateurs de golf) (accueillant foires d'antiquités et garden-parties).

[11] (Nées dans une boîte de dragées et mortes dans un coffre à bijoux) (habitant des bonbonnières ou des ballotins de pralines).

[12] On avait ses pauvres et aussi ses oiseaux. On se battait pour les abris et pour les abreuvoirs!

[13] Marauds, ribaudes et mécréants ! Vestales, éphèbes et travestis !

[14] Et quand bien même son père serait plombier, qu’il crève noyé dans sa baignoire ! (comme Claude François) (et son copain, Jean-Paul Marat, l’ami du peuple).

(Et Jean-Claude Méhu, notre copain ? ) (à moins qu'on l'ait buté).

[15] Et voilà matière à débat, la différence d’âge dans les couples, ah !

[16] Walter Swennen était là (puis il a disparu pour toujours) (ou presque). Les autres n’étaient pas loin (Jamal, Saïd et Mohammed) (Jacques Simon) (qui serait en Turquie ?) (les 2 Marianne) (Monik) (François-et-Lili) (Nadine-et-Bernard). Pissons par les mamelles ! Marquons les cercueils au fer rouge (torturés à la foreuse, ouverts au pied de biche) !

[17] Et le franc belge, dépecé et dissous dans l’Euro !