lundi 19 avril 2010

Le cul de ma femme mariée - Chapitre 23

Didier de Lannoy
« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits

23


Ce que je leur ferai aux mots, comment je les ravagerai et les investirai.

Je les installerai dans des taudis infâmes (villes sinistrées, rues défoncées) (herbes folles et nids-de-poule, canettes de bière dans les caniveaux, déjections canines sur les trottoirs, sacs-poubelles abandonnés, effluves de mazout, puanteur des eaux usées) (façades léprosées, toits crevés, caves inondées), squattés par les pigeons, les hiboux et les rats (murs tagués, portes enfoncées, serrures fracturées, extincteurs vidés dans les couloirs, planchers rongés par la mérule, rampes d’escalier poisseuses, toilettes bouchées, fils électriques sectionnés, interrupteurs arrachés) (amiante floquée, matières fécales et odeurs de gaz à tous les étages) (papier peint défraîchi, tentures déchirées, vitres brisées) (fenêtres occultées par du plastique noir), entre le chemin de fer et un pont autoroutier, dans un quartier de friches industrielles, au bord du canal.

Chantiers abandonnés, tiges d’acier sortant des fondations, tôles, gravats, tessons de bouteilles, charognes en décomposition, pylones de haute tension, bandes de chiens errants, exhalaisons pestilentielles, poissons pourris, chardons, haies de ronces, bosquets, (bambous !), déchets de raffinerie de sucre, cabanes de branches, nains de jardin décapités à la batte de base-ball, poupées désarticulées, (élevage clandestin de poulettes et de jeunes coqs reproducteurs !), frigos à 3 pieds, casiers de bière vides, palettes de bois récupérées sur un chantier, boîtes de conserve éventrées, matelas défoncés, casseroles trouées (le cul noir de suie), odeurs d’éther, poumons crachés, embryons décongelés, fagots de sorcières assyriennes, caravanes pourries, carcasses de voitures désossées (avec des réservoirs encore à moitié pleins).

Baignoire rouillée au fond du jardin, tenant lieu d’abreuvoir. Grenouilles rousses et tritons, larves de moustiques (serpents corail se glissant sous un tapis de feuilles de médamier !) (à la saison sèche). Martin-pêcheurs. Hérons cendrés (montant la garde au pied des bénitiers).

Je les enfermerai. Et goulûment je les affamerai. Je ne leur laisserai rien à manger (ni écorces, ni racines, ni sauterelles) (ni orties, ni capucines) (ni lézards, ni papillons)[1].

Des tournesols (déprimés, apeurés, exsangues) creuseront les épaules, courberont la tête, tourneront le dos au soleil couchant.

Je leur imposerai 3 jours de marche dans les collines désertiques, sans vêtements adéquats ni réserves d’eau suffisantes. Quelques uns se perdront, d’autres se feront dévorer par les bêtes libres et les animaux historiques[2]. Ou mourront d’inanition, vaincus par la faim, la soif et la chaleur.

J’entrerai en collision frontale avec une horde de mots (marauds, ribaudes et mécréants) divaguant sur la grand-route (vestales, éphèbes et travestis), à la sortie du désert, de la montagne et de la jungle (drogués, épuisés, affamés) (traînant leurs baluchons) (armés de machettes et de battes de base-ball ?) (poussant des charrettes) (tenant leurs vieux en laisse) (leurs ânes et leurs chiens) (les vierges et les garçonnets) (pieds nus, ensanglantés, gonflés d’oedèmes) (couverts de poux et rongés par la gale) (des champignons à l’intérieur de la bouche) (le soutien-gorge rapiécé) (le regard vide, hébété). Des fonctionnaires hystériques, fuyant des bureaux infestés d’amiante. Des chercheurs d’or, chassés de la forêt. Des prédateurs édentés, affaiblis par la disette, peinant à capturer leurs proies ?[3] Hyènes, varans et ours polaires rodant autour de sacs-poubelles.

Je les amènerai au premier étage de l’ancien hôtel de plaisir du quai de la Fosse (ou de la rue au Lait) (ou de la rue du Ruisseau) (ou rue du Cirque) (ou de la rue du Champ du curé). Je les enduirai de crème fraîche et de yaourt maigre. Je leur interdirai de se raser et de lacer leurs chaussures.

Fouilles au corps, douche obligatoire et punitions corporelles. Palpation des cartables et des sacs à dos à l’entrée des écoles. Confiscation de 17 chèques-repas d’une valeur de 230 francs (belges) pièce. Confiscation du passeport, du permis de conduire, de la carte de visite prophylactique, du certificat de baptême et du carnet de sécurité sociale (d’une calculatrice et d’un trousseau de clés). Attouchements divers sur les parties sexuelles ou les poitrines dénudées. Simulacres d’exécution. Je leur ferai tourner des scènes de nu gratuites.

Je ne leur ferai pas l’amour à cru, dans un vrai lit. Mais sous plastique, dans des sacs de congélation ou des gants à vaisselle (les jours de fécondation, je cracherai mon sperme dans des seringues à usage unique) (ma haine et mon venin) (que je leur injecterai ensuite, méchamment!). J’allumerai un incendie de cause indéterminée.

Intempérance et flatulence ! des mots trouveront la mort en sautant par la fenêtre.

Je dresserai de faux barrages. J’arrêterai des autobus pleins de mots. Je les obligerai à descendre. Je les assiérai sur des cactus rouillés. Je leur administrerai 150 coups de canne sur la plante des pieds. Je leur écraserai mon mégot dans l’oreille. Je leur ferai ingérer de force (je leur tordrai les narines) un produit corrosif. Je leur brûlerai les voies respiratoires et digestives. Je leur appliquerai des électrodes sur les tétons, les yeux, la langue et les oreilles, l’anus, la bite et le vagin. Puis j’enverrai le jus.

Je les aspergerai de gaz lacrymogène. Je leur arracherai les lèvres avec les dents. Je les étranglerai avec une corde de guitare rouillée (un lacet de cuir ou la laisse du chien) et les égorgerai (un à un, avec sauvagerie)[4]. Je leur coulerai les pieds dans 70 kilos de ciment. Je ferai sécher leurs cadavres (sur un rocher, en plein soleil, en bordure de la mer). Je les dissoudrai dans de l’acide. Je les brûlerai ensuite et j’accrocherai leurs osselets tremblants aux plus hautes branches d’un arbre de Cocagne (vêtu de bannières et de drapeaux sacrés).

Hier, dans la nuit, je fermerai à la circulation la petite route de campagne qui donne accès à la maison des mots. De même que toutes les rues adjacentes. Je couperai la ligne téléphonique, le courant électrique, l’accès à l’ordinateur[5]. Je me tapirai dans les buissons. Vendredi, au petit matin, j’investirai la place. J’enjamberai les grilles, je cisaillerai les grillages, je défoncerai la porte à coups de hache.

Quelques mots mourront sur le champ, décapités. D’autres seront retrouvés, les mains liées derrière le dos, pendus à une écharpe (rouge) accrochée à la balançoire du jardin. Emasculés. Certains penseront pouvoir se suicider. Je les exhumerai et je les profanerai. Je fouillerai la maison des amis, des voisins. J’arracherai le foetus du ventre de la femme enceinte. Je n’épargnerai ni la grand-mère, ni l’orphelin.

De nombreuses taches de sang seront relevées à l’étage (ainsi qu’un important désordre témoignant d’une lutte violente) (armoires béantes) (tiroirs retournés) (valises éventrées) (habits éparpillés) (draps ensanglantés) (capotes déchirées) (téléviseurs fracassés).

Parfois aussi, je les laverai au savon (à l’huile d’olive) de Syrie, je les habillerai de coton du Zimbabwe, de tissus du Népal. Je leur ferai fumer des Ambassades spéciales (vendues sur le boulevard du 30 Juin ou sur le Kasavubu) (et dans la plupart des camps militaires de l’armée de Mobutu). Et ensuite, je les inviterai à danser.

Forte concentration d'amiante dans les chiottes du Vatican, on me rappelle à l’ordre, on m’invite à plus de retenue. Que je me calme, que j’écrase, que je pense à mon virus (d’après Claude Haïm, les ulcères sont d’origine virale) (a-t-il lu quelque part ?) (ou microbienne ou bactérienne), que je cesse de me faire bronzer les couilles devant le radiateur à eau:

- Atterris !



[1] Je limerai les cornes des taureaux Osborne ! Je couperai la moustache du chat Mipoposse !

[2] Des centaines de méduses rôderont en mer, à 300 mètres de la côte.

[3] Je ferai tout pour retarder l’arrivée des secours: arbres abattus, accrochage de pendus aux poteaux électriques, strip-tease d’anciens combattants et d’invalides du guerre, réunions du Conseil de sécurité, opposants passés par les armes, routes jonchées de clous à 4 têtes, expulsion des plus démunis (meubles et effets divers) (enfants, perruches bleues et canaris gris jetés à la rue), vente publique des biens saisis et mise aux enchères du pucelage de la petite Marie (on consomme sur place) (on trousse, on dévierge, on enceinte) (tout ça pour le même prix), brouillards de gaz orange.

[4] Il y aura du sang partout. Un prêtre, affolé, courra d’un corps à l’autre. Des cochons viendront rôder autour des tombes (la nuit tombée) fraîchement comblées.

[5] Je coincerai une barre en acier de 20 centimètres dans un des réacteurs de la navette spatiale affrétée par le Pape, pour son irrésistible ascension.