lundi 19 avril 2010

Le cul de ma femme mariée - Chapitre 19

Didier de Lannoy
« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits

19


Des problèmes digestifs ? les huissiers au cul ? des douleurs récurrentes à la poitrine ? affaiblissement des muscles du plancher pelvien et pertes d'urine involontaires ? bris d'échappement ? diminution soudaine de la puissance du moteur ? gaz s'engouffrant dans l'habitacle ? obstruction des voies respiratoires, tachycardie, hémorragie cérébrale, varice oesophagique ? dégénérescence du cerveau, troubles de la mémoire et de la défécation, troubles de l’élocution, troubles de l’humeur et du comportement, troubles rénaux, troubles érectiles ? lésions irrémédiables ? intoxication alimentaire à la bactérie E.coli0157 ? mauvaise récolte, augmentation des impôts, défaite militaire, collision avec une chaise roulante du Lion'Club dans un parking de Delhaize ? gonflement des ganglions lymphatiques ? ménopause et ostéoporose? vieillissement précoce ? 2 départs d'incendie dans la salle des ordinateurs (dans la nuit du 31 décembre 1999 au 1er janvier 2000), 3 bilans consécutifs déficitaires ? fièvre et sueurs nocturnes ? tremblement des extrémités ? saillie des globes oculaires ? diarrhée persistante ? haleine détestable ? infections buccales ? échec sentimental et revers professionnel ? vols de chaises roulantes offertes par le Lion's Club de Kinshasa et meurtre des généreux donateurs ? attaque de fourgons d'hosties consacrées ? syndrome prémenstruel inconfortable ? orgasmes imprévisibles en des lieux inattendus ? écoulements verdâtres et purulents? pertes grisâtres et mousseuses (particulièrement malodorantes)?

Mais que j’arrête de gamberger, non ?

D’après Nadine (celle qui m’a fait 2 fois grand-père), Hortence (une fois seulement, 2 ans après) se trouve à Paris. Ou presque. A Bobigny. Elle reviendra mardi.

Et Ouardia ?

- Ouardia, elle est en voyage, à Montréal, Québec.

(Il serait temps aussi qu’elle se ramène, celle-là) (déjà, elle commence à nous manquer) (des Veuves comme ça, j’embauche !).

(La Belgique qui somnole au monoxyde de carbone) (et Ouardia qui milite !) (ouvre des fenêtres, bouscule, assaille).

Maréchal d’opérette chargé de régler la circulation des piétons à l’entrée de l’hôtel Métropole, comptable d’une société de nettoyage, je n’écris pas pour personne. C’est à toi que j’écris. Je voudrais que tu me séduises et que tu m’abandonnes.

- J’ai envie que tu me jettes, je voudrais que tu me gardes !

Avant de devenir complètement fou, définitivement taré, sourd, aveugle, impuissant, incontinent diurne, chiasseux chronique, je te dois une lettre. Et je veux la rendre publique. Irrévocablement.

Avant de me faire tatouer derrière l’oreille (pour retrouver le maître de l’animal), injecter une puce électronique.

Avant de me faire empoisonner, suicider, pendre (à chacun des trois arbres du square Gutenberg, en Tchétchénie), dépecer ou dissoudre.

Avant que le Royaume fédéral de Belgique ne disparaisse, pour toujours[1] !

Je te dois une belle lettre. Avant qu’ils ne s’en aperçoivent, avant que tu ne t’en aperçoives (avant de perdre le goût, l’appétit) (avant que les fusibles pètent, que les pompes se délacent).

- Mais pas le goût de toi !

(Jamais ? J’aurai toujours le goût de toi ?).

Accusé d’avoir lancé des pavés du haut du pont surplombant l’autoroute, soupçonné d’avoir participé à l’attaque d’un fourgon blindé (au cours de laquelle un convoyeur de fonds a été tué), blessé par l’explosion d’une bouteille de bière ou d’une poupée gonflable, rongé par les enzymes digestifs d’une mygale vénézuélienne, chloroformé, jeté dans le coffre d’une voiture diesel, achevé à coups d’extincteur, dévêtu, torturé, baîllonné, enchaîné à un lit d’hôpital (une menotte au poignet gauche, une autre à la cheville droite), je t’écris la bouche béante, sans défense ni protection, entièrement découvert.

Et je signerai mon roman. En toutes lettres. De mon nom propre. Comme on marque les bêtes de son troupeau. Comme un goal-keeper pisse sur les montants de son but. J’accrocherai mes amulettes aux branches (et déposerai mes étrons au pied) des arbres qui marquent les frontières de mon territoire. Pour fermer la parcelle. Par jalousie ! Je récuserai les capotes, les pseudonymes et les sosies.

Elle me dit:

- Tu es incapable de te passer de moi !

Je lui rétorque:

- Qui fétiche qui ici ?[2]

(Si ma femme blanche commence à me faire des nkisi !).

Couché sur un matelas défoncé, j’attends l’âge de la retraite. L’étouffement, la noyade, l’infarctus, l’incendie. Les rugissements de la purgation, les vagues déferlantes, les toitures emportées par la tempête. Il faudra bien que quelque chose se passe. Je dois t’écrire avant de me faire jeter aux crocodiles. Avant la crise, la grosse embrouille (le coup de sabot du chameau) (la rate qui explose et me pète dans la gueule) (le foie qui éclate) (le sang dans les urines, les poumons recrachés). Elle surviendra toujours. Tôt ou tard. (A chaud, ça sonnera faux, je n’aurai plus le ton juste) (je dois m’y prendre à temps, en dehors de toute urgence, je dois t’écrire avant). Il faut que je t’écrive avant que mes mots ne me quittent, avant que tu ne me vires, avant que je ne te plaque, avant.

Allons-y ! Je ne peux plus faire attendre mon public (qui trépigne) (attroupement d’une pensionnat de poulettes et de jeunes coqs reproducteurs, en voyage scolaire, devant un sac de maïs éventré, tombé du camion, à Mbansa Mboma, sur la route de Matadi?) (juste avant Madimba, à gauche, en venant de Kinshasa) (devant la porte entrebâillée d’un frigo infesté de cancrelats, au n°16 de l’avenue du Comité urbain, à la Gombe ?) (l’émeute !). Il faut absolument que je t’écrive avant d’être jeté dans le trou de boues fécales, parmi les serpents verts, les rats jaunes et les scorpions blêmes. Une tombe creusée à la main dans le bois de Wijnendale ou dans les dunes de Raversijde. Entouré de milliers de cafards, veules et hirsutes, gazés au Baygon, étendus sur le dos, pédalant vers le vide, désespérément.

On se pète la gueule de rire, on s’étouffe, on explose. On s’essuie les pieds sur ma bouche:

- Que tu crèves, toi ? et de quoi encore ? (ulcère de la prostate, pneumonie de l’estomac, apnée de la scoliose ?) (les tuyauteries bouchées, rongées par la rouille, qui pètent dans tous les sens, de tous côtés ?) (étranglement de narcissisme ?).Tu ne peux pas arrêter de te regarder, non ?

- D’accord, d’accord ! Et (soyons perfide) si tu nous préparais des boulettes de viande, farcies aux petits pois ? et des moules au lard fumé ?

Ma femme mariée m’assène en public (riposte immédiate et fulgurante) (contre-attaque totale et foudroyante):

- J’avais un très beau nez, t’en souviens-tu ? jusqu’à l’âge de 14 à 15 ans !

(Jusqu’à ce qu’on se connaisse ?) (avant qu’on ne s’embrasse ?) (Mwana ya 15 ans ?) (Mawa vraiment !).

Je lui réponds (il ne faut jamais laisser le dernier mot à la partie adverse), mais sans guère de talent, je veux bien l’admettre:

- Un nez, ça change, tu sais. Les mauvaises habitudes, les rhumes chroniques, les coups de boule, les points noirs, le psoriasis, les tumeurs verruqueuses.

Et puis aussi:

- Il a encore bien de la chance, ton joli petit nez, de ne pas devoir porter de grosses lunettes, à son âge[3] !

(Et puis enfin:

- Ça ne ferait pas un très bon titre pour mon bouquin, “le nez de ma femme mariée” !).

N’importe quoi ! Et si je lui disais, à ma femme mariée, que ce soir je pensais la féconder:

- Ce soir, je pense te féconder.

Elle m’enverrait à la merde, c’est sûr:

- Tu te prends pour le tringleur charmant ?

Ou bien alors, peut-être, en baillant, soupirerait-elle (soumission, dépendance et dévotion) (effacement, vertus domestiques et piété exemplaire) (comme l’agneau va au couteau)[4]:

- Bon, d’accord, viens...

Comptable d’une société de nettoyage ou héros de faits divers (4 à 9 lignes dans Le Monde), je lui ferai l’amour ou elle me fera l’amour[5], je ne sais pas. De toute façon, ce soir, nous ne le ferons pas ensemble, c’est clair!

Elle baîllera (elle fera semblant de dissimuler un baîllement), elle regardera sa montre (elle fera mine de regarder sa montre) (et d’ailleurs elle n’en pas) (moi non plus) (on vit aux crochets de l’heure des gens) et tendra l’oreille pour savoir si les pubs (après le JT de 20h) (de France 2 ou de TF1) sont déjà terminées et si le film va bientôt pouvoir commencer.

- Tu as (enfin !) fini ?

(Dans une autre vie, ailleurs, on se pelait une orange, on mâchait son chewing-gum, on se roulait un joint sur mon dos et, quand je commençais à m’essouffler, on me demandait:

- Tu as déjà versé ?).[6]

Aujourd’hui, tout l’énerve. Je lui demande de faire l’amour, ça l’énerve (il ne faut pas demander à une femme qui baîlle si elle veut bien faire l’amour). Je lui pose des questions, ça l’énerve. Je lui passe la main dans les cheveux, ça l’énerve:

- Je te vois venir, tout ce qui t’intéresse, c’est la quéquette !

- ...

- Tu me lâches, non !

Quelques jours plus tard, quand on sera à Paris, je me vengerai (lâchement). Grave ! Je déclarerai incidemment[7], que:

- Ma femme mariée est un vase d’expansion, un bidet complaisant, un dépotoir, le tout-à-l’égout d’une bande de Veuves et de Veufs (on les appelle aussi les Garçons[8]) (ou les Filles) (qui lui vomissent à longueur de bière blonde belge et de cabernet bulgare, chilien et espagnol leur trop-plein de confidences chagrines, de défoulements joyeux, de déprimes amoureuses ou de jubilations sexuelles, de fantasmes confits, de méchancetés rentrées, de passions inavouées, de frustrations perverses) (qui me détournent ma femme mariée de ses obligations conjugales !) (et me voilà tout seul au lit, à t’attendre, à t’attendre, à t’attendre).

- ...

- A t’attendre et à me branler ! Ce ne sont plus des oreilles que tu as derrière les yeux, ce sont des raclettes, des serpillières, des aspirateurs à large spectre, des filets dérivants ! Et (circonstance aggravante) tu aimes ça!

Moi, on ne m’insulte pas, on m’appelle Vieux, tout le monde me respecte !

- Ouais, on n’insulte pas les sourds ![9] (me dit-elle avec, sur sa gueule de conasse, le sourire béat de celle qui vient de se glisser dans le métro juste avant la fermeture des portes) (ou dans un ascenseur des lignes intérieures du Résidence Palace). Et si j’augmentais le volume du son, ça te rendrait plus intelligent?

Kinshasa. Le journal “Le Palmarès” a été suspendu, pour une durée indéterminée, après avoir annoncé que le Président Mobutu allait être opéré d’un cancer de la gorge:

- Propagation de fausses nouvelles !



[1] Et le franc belge, larbin du Deutsche Mark !

[2] (On enterre des oeufs dans le fond du jardin et je découvre un étron frais déposé sous ma chaise) (une signature) (un avertissement) (on égorge des poules noires et je ne retrouve plus le T-shirt avec lequel je m’essuyais les couilles) (et les rognures d’ongles que je laissais traîner sur ma table de chevet !) (les ndoki sont entrés, les ndoki sont partout !) (je sors les chats !) (les fouines, les belettes, les putois, les furets) (dans le sang, la sueur et les larmes, le sperme, la salive et les sécrétions vaginales) (après avoir eu des rapports sexuels avec ma femme mariée ?) (depuis 15 ans ?) (ou d’autres déchets humains, infestés d’acariens rigolards...).

[3] Personne n’est jeune à 30 ans ! (assène JPJ à ma femme mariée) (méchamment ?) (depuis 15 ans) (et plus).

[4] De toute manière, depuis le temps que tu me violes ! combien de fois par semaine, autant de semaines par an, depuis tellement d’années ! (me fait-elle le signe de la croix avant de traverser le fleuve Congo-Zaïre ou le boulevard périphérique de Charleroi à la nage, en minijupe et sur ses hauts talons, les fesses serrées, les yeux fermés et les mains jointes, aux heures de pointe ?).

[5] D’abord, j’enlève mes chaussettes. Je me déshabille dans le bon sens, j’ai bien retenu la leçon:

- Il n’y a rien de plus laid qu’un homme nu avec des chaussettes (noires !). Déjà qu’un homme, intrinsèquement, ce n’est pas beau !

Mais un homme nu, avec une écharpe (rouge) autour du cou, ça présente déjà mieux, non ? (ou blanche) (tombée de l’autobus ou de l'avion) (Starbus!) (entre Bruxelles-Brussel et San Valencia).

[6] La whonte ! Le sexe défait, humilié, tuméfié, il fallait bien que je réponde quelque chose à quelqu’un, quelque part (sauver la face, retomber sur ses pattes, récupérer sa mise).

Je consulte Antoinette (qui se demande, à haute voix, au milieu du salon, sur la place du village, si tous les hommes considèrent les femmes comme leurs bouteilles !) et j’ose:

- Vous prendriez-vous pour un pot de chambre, chère amie ? pour un crachoir, pour l’urinal du Pape ? (risquai-je), une éponge, une wassingue ?

(Mais ça n’arrangeait pas mon dossier) (eh !) (il faut dire que c’est très sensible ma petite bête-là !) (vraiment très susceptible).

(Quand l’écrevisse se transforme en crevette !) (et je devrais jouer du saxophone).

[7] A table. Devant Nicole et Gougoui. Devant Ima et François. Et devant une autre personne (dont je ne retrouve pas le nom) (mais qui, de toute manière, ne parlait pas le français) (mangeait de très bon appétit) (mâchait avec application).

[8] Un seul coq couvre toutes les poules. Les cerfs de moins de 5 ans ne participent pas au brame. 80% des femelles sont saillies par 20% des mâles.

[9] Le privilège de l’âge: on cesse d’être bête comme un balai, on devient sourd comme un pot.