lundi 19 avril 2010

Le cul de ma femme mariée - Chapitre 4

Didier de Lannoy
« Le cul de ma femme mariée », roman, Quorum, 1998...
El culo de mi mujer casada - De kont van mijn getrouwde vrouw - Evunda ya mwasi na ngai ya libala
Extraits

4


Hier, c’était dimanche. Je revenais de la boulangerie Riva, près de la place Flagey. J’avais une triste nouvelle à annoncer à ma femme mariée: il n’y aura plus de dommekes[1].

- Et pourquoi ça ?

- On n’en fabrique plus: il n’y a plus de clients, certains sont morts, d’autres ont déménagé, d’autres ont été placés dans des maisons de repos.

(Mise en jambes) (ne pas déconcerter) (insinuer, suggérer, imprégner) (souffler avant de mordre) (euphoriser) (séduire, enrober, hypnotiser) (lécher le rat avant de l’avaler) (tout cru !).

Depuis que je suis né, je n’ai jamais cessé de vieillir. Et dans 5 ans la recette sera oubliée (petit pain de seigle au raisin) (céréale cultivée sur les terres pauvres et froides de l'Ardenne rude et profonde, pour son grain et comme fourrage). Et pendant ce temps-là, la tempête tropicale Hortense frôle la Martinique, inquiète la Guadeloupe.

Lundi. Wilrijk. Four crématoire.

Verrouillage de la vessie. On se retient de tousser, de péter, de cracher, de smasher.

- Un instant !

Les portes de l’enfer ne s’ouvriront donc pas. Je suis vraiment très déçu. Pas de vent de flammes. Pas de bouffées de chaleur. Ni les rugissements de la purgation, les vagues déferlantes, le souffle du dragon, les toitures emportées par la tempête, les plate-formes pétrolières dérivant avec 67 personnes à bord, 14 croix arrachées et replantées à l’envers.

On ne voit rien. On n’entend rien. On ne sent rien (à peine une vague odeur de plastique brûlé) (une paire de lunettes ou des prothèses dentaires ? un anus artificiel). Des mouchoirs sont sortis (on se tamponne le bout du nez avec une pièce de tissu). Des cochons grognent. Des chouettes hululent. Des crocodiles vagissent. Des serpents sifflent. Des dindons glougloutent. Des lapins clapissent. Des canards cancanent. Des poules codèquent. Des chameaux blatèrent. Une alouette grisolle.

(Il y a des salles à manger. Il y a des chambres à coucher. Faut-il des endroits pour pleurer ? Ne peut-on pas baiser/manger/crever comme ça se présente, là où ça se trouve ?).

Des poules codèquent. Des chameaux blatèrent. Un ordonnateur (voix compassée de pédophile pasteurisé) procède. Des discours sont prononcés. Musique de salon de thé pour personnes (très) âgées (dans les années 50, en fin d’après-midi) (au Bon Marché) (à l’hôtel Métropole ou à l’Innovation). Personne n’applaudit.

- Un instant !

Des bouquets sont déposés. Des files sont ordonnées. Des têtes sont inclinées (devant une caissette en bois, un pot de chambre, un sac d’aspirateur)[2]. Une musique est diffusée. Des mains sont échangées. Les cendres de Monsieur Longue sont dispersées, cérémonieusement. Défense de marcher sur le gazon. Défense de picorer, de déterrer les vers, de creuser des tunnels. Interdiction d’allumer des feux, de pique-niquer, de s’embrasser, de faire l’amour sur les pierres tombales. Je me retiens d’éternuer.

(Et d’ailleurs, on ne disperse pas, on saupoudre).

(On dégurgite, on dégorge).

(On gerbe !).

La compagne de Monsieur Longue porte le deuil en rouge et noir (et ça lui va très bien).

Pas de voilette mais une superbe permanente, un soufflé au fromage de Hollande.

- Pourvu que ça tienne jusqu’à la fin de la cérémonie !

André Faucheur était présent. Venu disperser son tortionnaire. Venu disperser ses peurs.

(J’ai une vraie affection pour cet homme-là) (qui me hait bien) (je lui dirai un jour pourquoi) (je finirai bien par le savoir ?) (et ce n’est pas seulement parce qu’il lui arrive des histoires !).

- Un instant !

Moi, je m’enterrerai moi-même, c’est décidé ! Et dans un sac-poubelle (aux armes de Delhaize) ! Je ne revendique aucun cimetière (dont les promoteurs immobiliers) (ou le Comité d'acquisition territorialement compétent) (ne manqueraient pas de me déloger, tôt ou tard), ni même un caveau à décomposition rapide[3]. Je revendique mon droit à la décharge publique républicaine (je donne des instructions en ce sens à ma veuve, qui me lit) (salut Mère![4]). Et si les flics de ma mort s’y opposent, je revendique un enterrement Derby, produit blanc. Ceci est mon testament (parmi tant d’autres). Mais il me reste encore 11 ans à vivre. Moins un mois. Et le cul de ma femme mariée depuis 15 ans (et plus) à terminer. Longtemps.

14h20. Retour à Bruxelles-Brussel.

Cela fait plus d’une demi-journée que je n’ai pas touché la femme ! Depuis la nuit dernière (le matin on a plutôt tendance à se tirer la gueule) ! Dans une heure et 42 minutes, j’éteins mon ordinateur, j’enfile ma veste de cuir, je quitte mon bureau, je prends l’ascenseur, j’enfonce ma carte dans la pointeuse, je grimpe dans ta bagnole, je rentre à la maison !

- Ce soir, on fait l’amour ?



[1] D’après Marianne Berenhaut (isc) (infirmière-sculpteur-châtelaine !) (elle me presse, elle m’angoisse) (je dois absolument corriger ça !), on ne dit pas “dommeke” mais “podommeke”.

- Et on en trouve encore dans certaines boulangeries de Bruxelles-Brussel ! tu n’as qu’à mieux chercher (m’intime-t-elle) (avec un point d’exclamation rouillé au plus profond de la gorge).

[2] Le crématorium tourne à plein rendement. Au delà de sa capacité normale ? Les urnes funéraires sont remises aux héritiers dans un délai record, toutes cendres mélangées ?

[3] Ni la parcelle des Congolais (des adultères, des suicidés et des athées), au plus profond du petit cimetière de Tervuren.

[4] Renseigne-toi pourtant, donner mon corps à la science (à l’Institut d’Anatomie de l’Université libre de Bruxelles ou de la Vrije Universiteit Brussel !), ça peut te coûter combien ? Ça pourrait même te rapporter grand-chose, non ? Tous ces organes pourris, farcis, piégés qui vont leur péter dans la gueule. Le dos, la rate, le nez, la tête, l’estomac, le foie, les oreilles et les couilles. Les viscères, waow !